Salim Fergani, cheikh incontesté du malouf constantinois, virtuose du « oûd arbi » soutient l'idée d'une fusion entre le malouf et le jazz et pour preuve, il était à l'honneur lors du dernier festival Dimajazz, puisque il a ouvert le « spectacle » en accompagnant le groupe Coudia Aty. Salim Fergani marque ainsi son adhésion au concept de « la fusion des genres musicaux » et démontre que le malouf ne perd rien de son authenticité en s'associant avec d'autres types de musique, déclarant à ce propos : « Pourquoi ne pas impliquer le malouf et le Jazz ? Après tout il y a des gens qui ont tenté autre chose avec le jazz, et visiblement notre projet commence à donner ses fruits. Cela offre au malouf une dimension internationale, ce qui ne nous empêche pas de conserver l'authenticité et la pureté de cette musique ». Pour lui « la tradition n'empêche pas l'ouverture ». Il souhaiterait que Constantine s'ouvre sur d'autres types de musique car, pense-t-il, cette ville accepte depuis toujours les musiques du monde. « Je me souviens que le jazz existait à Constantine, il se jouait au casino mais aussi dans un endroit qui s'appelait Chez nous », précisera Salim Fergani, en rappelant que son père le cheikh M.T. Fergani s'était produit dans un groupe de jazz pendant les années 1940 qui s'appelait Missi Jazz. « Moi je fais le contraire, ironise l'artiste, je commence par le malouf pour aller vers le jazz, mais je reste quand même un puriste car le malouf est une musique ancestrale qui existait bien avant le jazz ». Salim Fergani est l'un des « derniers Mohicans » d'une musique séculaire dont la transmission se fait oralement de père en fils. Faire fusionner celle-ci avec d'autres types de musique lui permet de survivre, surtout à une époque où « la tectonique » conquiert le cœur de nos jeunes. Démocratiser le malouf c'est le rendre accessible à un plus large public et surtout l'exporter vers d'autres rives. Cependant, l'enseignement de ce genre musical, qui fait partie du patrimoine culturel, doit faire l'objet de réflexions sérieuses, car si la transmission, au sein même des familles d'artistes, n'est plus ce qu'elle était à cause de l'intérêt des jeunes pour d'autres carrières, les artistes ainsi que les institutions doivent s'interroger sur l'avenir des musiques traditionnelles et du folklore. Pour ce faire, les conservatoires municipaux sont les espaces que l'Etat doit encourager en premier lieu, car leur rôle, en matière de diffusion, est fondamental. L'éducation nationale et l'enseignement supérieur doivent également s'impliquer et réfléchir sur la création de filières en musicologie. La fusion du jazz et du malouf prouve que la tradition et la modernité ne sont pas antinomiques. Etre contemporain ce n'est pas nier la tradition et la richesse de toute une civilisation, mais avoir la capacité d'inscrire son patrimoine et sa culture dans le grand livre universel de l'humanité. Salim Fergani incarne bien cette modernité, ayant sillonné le monde entier avec son luth. Il se produira d'ailleurs le 6 et 7 juin prochain à l'institut du monde arabe à Paris.