L'Algérie commémore le 19 mai de chaque année la Journée de l'étudiant. Cette commémoration atteste donc que cette frange de la population a profondément marqué de son empreinte l'histoire de la lutte de Libération nationale. En effet, le 19 mai 1956, l'Union générale des étudiants algériens (Ugema), créée une année auparavant sous l'égide du Front de libération nationale, dont elle constituait le prolongement idéologique et politique, décidait souverainement de lancer un appel à la cessation des études et au ralliement de la jeunesse estudiantine au combat pour l'émancipation du joug colonial. Cet appel fut unanimement entendu au niveau des universités, des médersas, des instituts, des lycées et collèges tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays. Je ne m'étalerai pas sur les circonstances de la création de l'Ugema ni sur son rôle mobilisateur à la veille de cet événement historique. Ces faits sont connus. J'insisterai pour dire que cette importante décision fut d'abord un acte politique. Un acte politique majeur qui situait clairement et irrémédiablement la place de la jeunesse intellectuelle algérienne dans le camp des opposants à la présence française dans notre pays, ce qui ruinait l'argumentaire de l'administration coloniale qui s'évertuait à présenter les combattants de l'Armée de libération nationale comme des groupes marginaux de rebelles incultes, manipulés de l'extérieur, coupés de la population qu'ils soumettaient et dominaient par la terreur. Cette décision politique, pour importante qu'elle fut, n'était pas cependant une fin en soi. En écho à l'invite contenue dans l'appel à la grève, elle allait avoir des prolongements naturels dans l'engagement pour l'action à l'intérieur et à l'extérieur du pays. Cet engagement fut massif, en proposition, si l'on considère que sur les trois à quatre mille étudiants qui fréquentaient universités, lycées ou instituts, plus des deux tiers ont rejoint le FLN et l'ALN. Il a scellé l'unité de la jeunesse en lutte, cette jeunesse qui figurait désormais toutes les couches de la société, femmes et hommes, ruraux et habitants des villes, paysans et ouvriers, instruits et non instruits. La seule problématique que cet engagement allait poser : comment les utiliser. Au plan qualitatif, l'étendue de leur niveau intellectuel et la diversité de leur formation les prédisposaient à jouer des rôles importants au vu de leur compétence, de leur engagement patriotique et de leur détermination. C'est ainsi qu'à l'intérieur du pays, des centaines d'entre eux vont rejoindre, dès l'été 1956, les pionniers du 1er Novembre 1954 parmi lesquels figuraient déjà des aînés intellectuels engagés, à l'image de Chihani Bachir, Abbès Laghrour, Mohamed Lamouri, Ali Kafi, Hachemi Hadjerès, Benbaâtouche, les frères Zaâmoum, Amara Rachid, Taleb Abderahmane, Si El Haouès, Mohamed Chaâbani, Brahim Zeddour, Houari Boumediène, Lotfi, Akbi, Medeghri... tous issus des instituts islamiques ou de l'université, ce qui permet d'affirmer que l'élément intellectuel ou ceux que l'on appelait prosaïquement « Al qaryine » (les instruits) n'était pas absent du théâtre opérationnel. Toujours à l'intérieur, l'intégration de ces « grévistes » au sein du FLN/ALN se fera dans les structures politiques urbaines clandestines, dans les missions spécifiques de santé (médecins et infirmiers), dans la presse et la propagande et surtout, pour la majorité d'entre eux, dans les unités combattantes. Ce dernier point mérite toutefois une explication pour répondre à une interrogation récurrente souvent occultée. Ces jeunes de l'intérieur ont-ils eu les mêmes chances que leurs frères travailleurs et paysans de se voir valorisés afin d'atteindre les responsabilités auxquelles ils pouvaient aspirer compte tenu de leurs aptitudes ? Je réponds : pas toujours. Dans beaucoup de régions, en effet, ils ont fait l'objet d'une marginalisation et d'un ostracisme évident. La raison en est que de nombreux responsables militaires de régions ou de zones appréciaient la qualité de combattant à l'aune de la rusticité physique, de l'ampleur de la personnalité, du sens du commandement et surtout de la faculté d'insertion dans la société rurale afin de mieux développer leur instinct de survie : ces étudiants, ces lycéens n'ont cependant pas démérité. Dans tous les cas de figure, ils ont relevé le défi, bravant les difficultés, allant jusqu'au sacrifice suprême. Des milliers d'entre eux ont payé ainsi de leur vie, par la main de l'ennemi, leur engagement sans faille. D'autres, malheureusement et ils furent nombreux, connurent un sort injuste. Ils payèrent de leur vie l'incapacité de leurs chefs à déjouer le complot diabolique tramé par les officines des services psychologiques spécialisés de l'armée ennemie, les désignant à la liquidation physique par leurs propres frères. Il est vrai que la sécurité des maquis, vitale pour la survie de la révolution, imposait la vigilance la plus extrême et légitimait le fait de faire face avec rigueur et rapidité à la moindre suspicion, à condition que les choses ne perdurent pas dans le temps et ne gagnent pas d'autres régions, ce qui fut malheureusement le cas. Ces victimes innocentes ont été, par conséquent et sans contestation possible, les victimes directes de l'armée coloniale et ont mérité le titre de chahids. Il faut savoir que l'élimination de l'élite était un objectif prioritaire permanent de la soldatesque ennemie, pour ce qu'elle représentait de double danger, dans l'immédiateté de la guerre d'une part, et pour l'avenir en tant que réservoir de cadres de l'Algérie indépendante, d'autre part. Pour tempérer ce tableau au trait forcément sombre, je dirai quand même qu'une minorité de ces jeunes, purs produits de la grève de l'Ugema, ont tenu le coup et sont devenus, grâce à la force de leur volonté et à la constance de leur conviction, de grands cadres de l'ALN : responsables d'unités combattantes, commissaires politiques de haut niveau, chefs de région ou de zone, membres de conseils de wilaya, chefs de wilaya tel le colonel Khatib Youcef, membre du GPRA, tel Lamine Khène, sans omettre l'artisan de la création de l'Ugema, Mohamed Seddik Benyahia devenu, très tôt, membre du Conseil national de la révolution algérienne et un de ses principaux animateurs. Qu'en est-il par ailleurs de ceux qui ont rejoint le FLN à l'extérieur du pays, dans les capitales de pays frères ou directement dans les bases arrières de l'ALN ? Leur destin sera différent et directement lié aux besoins induits par les nécessités politiques ou techniques de la stratégie d'appui et de soutien à la lutte armée menée par l'intérieur. Partant de l'évidence que l'ALN ne manquait pas de bras, tous ceux qui pouvaient être utilisés autrement se verront confier, par des responsables lucides, des tâches immédiates en rapport avec leur niveau ou bien seront tenus de suivre une formation appropriée pour une qualification opérationnelle spécifique. Pour les tâches immédiates, les contingents qualifiés, politiquement parlant, seront désignés en qualité de chefs de mission du FLN dans les capitales des pays frères et amis à l'exemple, entre autres, de Tewfik Bouattoura, Lakhdar Brahimi, Ali Lakhdati, Mohamed Kellou, Salah Benkobbi, Abdelmalek Benhabylès, Hafidh Kerramane, Djamel Houhou, etc. Un autre contingent rejoindra l'appareil administratif du CCE ainsi que les services de l'information (presse nationale et radio) Belaïd Abdesslam, Rédha Malek, Mohammed Bedjaoui, Mohamed Harbi. (A suivre) L'auteur est : Ancien étudiant, ancien officier de l'ALN, président de l'association AN/MALG