L'artisanat se meurt en Algérie. Il ne reste que quelques âmes irréductibles, amatrices de finesse et de beauté qui continuent à entretenir la passion pour le métier d'artisan. Mais que faut-il pour que les multiples contraintes ne puissent pas venir à bout de leur volonté ? Il faut dire surtout que la situation économique peu reluisante du pays et qui s'est traduite par une baisse substantielle du pouvoir d'achat des ménages a fait que les Algériens ont tourné le dos aux produits artisanaux. Les artisans ont été de ce fait touchés de plein fouet par la crise économique. A l'image de Salah, maître artisan en dinanderie, rencontré à l'occasion du Salon de l'artisanat traditionnel, qui gère une entreprise familiale à Constantine connue pour être le fief de cette spécialité artisanale. « Les gens n'ont plus les moyens d'acheter nos œuvres », se plaint-t-il d'emblée avant de répondre à une dame curieuse de connaître le prix d'un joli coffre en cuivre jaune. La dame visiblement déçue par le prix proposé par Salah s'est éloignée du stand sans mot dire. Durant les années 1970 et 1980, il arrivait à faire de bonnes affaires. Mais depuis quelques années, il a vraiment du mal à écouler ses produits. Durant le premier semestre de l'année en cours, il n'a pu vendre que trois pièces. « Les prix ne sont pas à la portée de tout le monde », regrette-t-il. Les prix de ses créations varient entre 1000 et 100 000 DA. Cela est dû en partie à la cherté de la matière première. « A l'époque où l'Etat avait le monopole de l'approvisionnement, la matière première n'était pas chère, mais elle était rare. Mais avec l'ouverture du marché, elle est devenue abondante mais chère », expliquera Salah. Ce dernier avoue qu'il a failli à plusieurs reprises abandonner le métier de dinandier qu'il a exercé toute sa vie. « Si je n'aimais pas ce que je fais, j'aurais abandonné depuis belle lurette. » La dinanderie qui est partie intégrante de la culture algérienne est menacée de disparition, si rien n'est fait pour aider les fabricants des œuvres en cuivre jaune, prévient Salah, résigné. Il a toutefois légué son don et son savoir-faire à son fils qu'il a initié à ce noble métier. Un avis partagé par Mohamed, un dinandier installé dans la vieille cité de La Casbah. Pour s'approvisionner en matière première, Mohamed a eu recours aux circuits officieux de Constantine qui importent leur marchandise d'Espagne, d'Italie et de Turquie. « Je suis obligé de recourir au marché noir », s'excuse-t-il presque avant d'enchaîner : « Les autorités subventionnent l'achat d'équipements et de matériaux que nous possédons déjà au lieu de nous aider à acquérir la matière première à des prix accessibles », fera-t-il remarquer. « Nous payons trop d'impôts. Nous sommes placés au même titre que les commerçants. 21% de mon chiffre d'affaires vont aux impôts. Nous demandons une baisse de l'ordre de 7% », s'écrie Mohamed qui semble avoir le cœur gros. Il ne manquera pas de signaler, non sans une certaine fierté, que les produits algériens sont réputés, car ils sont fait à la main tandis que ceux commercialisés en Tunisie ou au Maroc sont fabriqués de manière industrielle. « Les Tunisiens achètent nos produits à Annaba et les revendent chez eux en prétendant qu'ils ont été fabriqués chez eux », dira-t-il encore sur un air de confidence. « Les Algériens préfèrent acheter des babioles en Tunisie et au Maroc à moindre coût au lieu d'acquérir des œuvres algériennes authentiques », déplore-t-il. Les vacances restent la seule période où les artisans réalisent des ventes plus ou moins importantes avec l'arrivée massive des émigrés. « Le reste de l'année, nous réalisons zéro vente », témoigne Samia, spécialisée dans la poterie céramique en gardant l'œil sur un étranger qui contemplait avec intérêt l'un des vases entreposés par terre. Mais loin de verser dans l'immobilisme, elle a décidé avec ses trois associés à Ouargla de prendre des initiatives afin de promouvoir leurs produits à l'étranger. « Nous allons contacter les attachés culturels des ambassades étrangères pour leur proposer nos produits », affirmera-t-elle, tout en regrettant les difficultés d'exportation vers le marché international en raison des tarifs douaniers élevés imposés aux importateurs, qui préfèrent de ce fait les marchés tunisien ou marocain où ils bénéficient de tarifs préférentiels. C'est, dit-on, la croix et la bannière que de participer aux manifestations internationales en raison des frais de déplacement qui, selon elle, ne valent pas la peine, eu égard aux bénéfices dérisoires qu'ils réalisent dans ce genre de salons spécialisés. Encore faut-il que les organisateurs n'y interdisent pas la vente.