De notre correspondant à Constantine Nasser Hannachi Ils étaient plus de 200 artisans dinandiers au Remblai du Bardo, aujourd'hui, ils ne sont plus qu'une poignée. L'artisanat de la dinanderie se meurt. Le cuivre fond à grande vitesse sans que son écoulement montre quelque signe de détresse. La transmission du métier de dinandier s'effectue difficilement dans la capitale de l'Est pour ne pas dire qu'elle est grippée. Tandis que la Chambre des arts et des métiers annonce le chiffre de près de 70 dinandiers dans la wilaya affiliés à la CAM, des voix d'artisans s'élèvent pour contester ce chiffre, du moins pour son aspect «pseudo artisanal». «En fait, c'est de la théorie qu'ils étudient. De nos jours, la pratique expérimentale nécessite autant de moyens. A commencer par la disponibilité en abondance de la matière première. Ce qui n'est pas le cas en raison de la pénurie de cuivre qui frôle des prix exorbitants», fera remarquer un artisan activant au Remblai. Son aîné, qui lui emboîte le pas, annonce qu'«avec la feuille de cuivre qui coûte parfois plus de 10 500 DA, j'imagine mal le processus d'apprentissage chez les novices du métier». «De plus, ajoutera-t-il, ce métier s'apprendra avec des spécialistes artisans qui ont passé la moitié de leur vie et même plus en contact avec le marteau et le biseau par amour de l'art décoratif du cuivre. Maintenant, si l'on veut inverser la règle de l'artisanat n'importe qui peut s'attribuer le titre de transmetteur. De plus, la CAM ne sollicite pas vraiment les chevronnés sauf pour les expositions.» Ces dinandiers, qui font «rougir» les visages des officiels dans les manifestations officielles, souffrent quotidiennement car ils sont en butte à d'autres problèmes que ceux liés à la formation. Il leur est impossible de maintenir un rythme de travail d'artisan régulier : «Personnellement, je ne façonne ce produit brut que lorsqu'il est question d'une commande certaine.» L'inquiétude de ces dinandiers, parmi les rares qui continuent à pratiquer ce métier, débarqués dans les grandes villes du pays au 20e siècle (Constantine, Alger, Tlemcen, …), se lit sur leur visage. Les tables officielles de la Chambre des arts et des métiers, seule institution habilitée à sauvegarder cet art traditionnel par une prise en charge «des fondements mêmes» de ce métier décoratif sont plus qu'interpellées par les «quelques artisans» activant encore, notamment au Remblai en vue de les assister sur un double plan. De fait, en plus de la cherté et de la rareté de la matière première, ces quelques mordus du «plateau» et de façon unanime déplorent la légèreté avec laquelle leurs préoccupations sont reçues par leur représentant. «Je cumule 38 ans d'expérience dans le domaine, dira l'artisan Boudiaf, on est en train de tuer ce métier en touchant à son âme qui est le cuivre.». Le marché noir et l'autorisation accordée par l'Etat au privé de mener la danse dans le marché n'ont fait que compliquer l'achat de cette matière à des prix inabordables en raison de l'inflation de son coût au niveau mondial, mais aussi en raison de la «spéculation». Les préoccupations de cet artisan dépassent maintenant le cadre du marché. Occupant un local au Remblai où il exerce son activité, il craint son «éjection», à tout moment à cause de la délocalisation de la troisième tranche des habitants du Bardo. «Du jour au lendemain, on sera chômeurs ! Il est peu probable que je bénéficie d'un local.» Désespéré, notre interlocuteur s'explique : «Etre détenteur de la carte d'artisan ne suffit pas aux pouvoirs publics. Ils nous imposent un registre du commerce et un contrat de location pour étudier notre cas en vue d'un éventuel transfert.» C'est quasiment une équation difficile à résoudre car les locaux appartiennent à la commune. Cela dit, les locataires originels ne sont pas des artisans. Ils ont loué leur espace à ces derniers. Ce qui annule l'élaboration d'un contrat de location. Les dinandiers se trouvent entre le marteau et leur feuille de cuivre… La balle est désormais dans le camp de leur association créée illico presto pour les défendre. Des cartes d'artisan et des requêtes sont brandies du côté du Remblai. Le tri devrait s'effectuer rigoureusement pour écarter tous les opportunistes «extra cuivre». C'est cela que craignent les dinandiers qui «hésitent» sur leur option de requête : suivre l'association représentative au niveau de la CAM dirigée par leur nouvelle présidente ou croiser les doigts et faire confiance aux démarches effectuées à la source par un dinandier. «La carte d'artisan constituerait le tournant décisif sur notre avenir. On ne la jette pas par la fenêtre… Il faut s'assurer des capacités des dinandiers pour la livrer», devait dire M. Boudiaf qui craint une fraude de transfert.