Ni acquittée ni condamnée. Habiba K., jugée le 20 mai pour pratique sans autorisation d'un culte non musulman, a eu droit hier non à un jugement définitif, mais à un jugement préparatoire. Tiaret. De notre envoyé spécial Le verdict rendu par le tribunal correctionnel de Tiaret dans ce qui est désormais appelé « affaire Habiba » a refroidi le ministère public, qui a requis la peine de trois années de prison ferme, la partie civile constituée de la direction des affaires religieuses et des wakfs qui réclame des dommages et intérêts, et la défense qui espérait l'acquittement de Habiba. Le juge coupe la poire en deux et demande une « enquête complémentaire ». L'avalanche de réactions, d'indignation surtout, qu'a suscitée chez l'opinion nationale et internationale la tenue de ce procès inédit par son objet n'est certainement pas étrangère à ce verdict en demi-teinte. Ce jugement préparatoire pourrait tout aussi bien déboucher, selon Me Khelfoun, avocate de la défense, sur une condamnation. Ce n'est que partie remise, selon elle. « Le tribunal veut gagner du temps et évacuer la pression qui s'exerce sur lui », a déclaré l'avocate du barreau de Tizi Ouzou. Le tribunal (qualifié par certains de tribunal de l'inquisition) pourrait éventuellement requalifier les faits sans que cela ne débouche pour autant sur un nouveau procès. La défense dispose d'un délai de dix jours après notification de la décision pour faire appel. Autant dire que le sort de Habiba, chrétienne évangéliste depuis quatre ans, est suspendu au complément d'enquête que devra apporter le parquet. Celui-là même qu'il l'a renvoyée devant le tribunal pour pratique non autorisée d'un culte non musulman. Rappelons que Habiba K., 36 ans, native de Tiaret et issue d'une famille nombreuse et de modeste condition, a été arrêtée fin mars dernier par les gendarmes au retour d'un voyage à Oran où elle étudiait au Centre d'études bibliques de Bousville. Cette ancienne employée d'une crèche à Oran, sans niveau d'instruction (elle a mis fin à ses études au bout de la 6e année primaire) a été sommée par le procureur, d'après ses dires, de choisir entre « la mosquée ou le tribunal ». Ce qu'elle fit, en choisissant le tribunal. Le verdict, Habiba l'apprendra hier par téléphone. Son avocate, soucieuse de ne pas trop l'exposer, lui avait conseillé dans la matinée de ne pas assister à l'audience. La salle n°3 affectée au traitement des affaires jugées en correctionnelle ne pouvait contenir la foule de justiciables, de curieux et de représentants de la société civile, des médias, venus nombreux pour découvrir l'énoncé du verdict dans le procès Habiba. Mais pas seulement. Puisque 6 autres protestants originaires de Tiaret, Oran, Tizi Ouzou et Ksar Chellala ont été jugés pour « distribution de documents visant à ébranler la foi des musulmans ». Etaient présents dans la salle, les journalistes et correspondants de la presse écrite nationale, les représentants de l'Eglise protestante d'Algérie (EPA), du CCDR (Comité des citoyens pour la défense de la République), du collectif SOS Libertés, des journalistes et caméramans de Reuters (GB), de l'Agence de presse italienne, ANSA, du Figaro... Contrairement à la fois dernière, la juge a courtoisement invité les journalistes à ne pas faire usage de leurs dictaphones ou de leurs appareils photographiques. Sans se hasarder à les confisquer. Quand un procès en cache un autre A la place du procureur qui avait requis la semaine dernière la peine ferme contre Habiba, un autre procureur, plus âgé. Derrière le juge, est accrochée au mur la devise des tribunaux algériens : un verset coranique qui dit : « Quand vous jugez les hommes et les femmes, jugez-les avec justice. » Les six prévenus sont appelés à la barre : d'abord Rachid et Djallil, deux informaticiens âgés de 36 et 40 ans, propriétaires d'un cybercafé à Tiaret, ensuite Sami, 26 ans, également informaticien, Chabane, pâtissier de profession, Abdelkader et Mohamed, le premier est sans emploi et le second, quinquagénaire, est opticien. Le juge, plus mesuré dans ses questions, demande à chacun ce qu'il « pense » des accusations portées contre eux par le ministère public, à savoir la distribution de documents religieux visant à convertir les musulmans et pour certains d'entre eux se joint un deuxième acte d'accusation qui est la pratique sans autorisation d'un culte non musulman. Deux des mis en cause réfutent devant le juge s'être convertis au christianisme. Les quatre autres membres de la communauté protestante (non autorisée par les pouvoirs publics) tout en s'affirmant chrétiens nient avoir versé dans le prosélytisme. Le juge commence par interroger Rachid, « soupçonné » d'être le meneur, le pasteur de cette communauté « clandestin » et d'avoir transformé son appartement loué en un lieu de culte. Rachid se défend : « Je ne suis pas le moudaris (le pasteur ou le prêcheur du groupe, ndlr). Je n'ai pas la carrure. » Rachid, originaire de Tizi Ouzou, cumule déjà deux peines d'emprisonnement avec sursis de 3 et 2 ans, assorties de deux peines d'amendes de 500 000 DA chacune, prononcées respectivement par les tribunaux de Tissemsilt et d'Oran pour les chefs d'accusation de prosélytisme et d'insulte au Prophète. Son procès en appel à Tissemsilt doit avoir lieu aujourd'hui. Les prévenus racontent sobrement les conditions de leur arrestation le 9 mai à la sortie de l'appartement d'un d'entre eux où ils s'étaient réunis. Des policiers en civil les avaient interpellés en pleine rue, dans des lieux publics. Un livre, un agenda et un calepin servant de journal intime ont été retrouvés sur deux d'entre eux. « On nous accuse de distribuer des documents, ils doivent bien y avoir une preuve à cela, un témoignage au moins sur ces faits. Sur moi on n'a rien trouvé, sauf un CD de Tom et Jerry que j'avais acheté pour ma fille et un bouquin sur la foi : un bouquin personnel », affirme Rachid. Abdelkader, questionné sur les raisons qui le poussent à visiter assidûment l'appartement de Rachid, répond que c'était par « amitié » et affirme qu'il est « toujours musulman ». Djallil, le plus intello des six, déclare pour sa part que les « prières se faisaient individuellement et non en groupe » et qu'il n'y a pas lieu de leur « coller » l'accusation selon laquelle ils étaient en train de distribuer des documents alors qu'ils n'avaient rien sur eux au moment de leur arrestation. La parole donnée à l'avocat de la partie civile, Me Drissi Larbi, enfonce les accusés, surtout le « pasteur présumé » et met en avant les déclarations « contradictoires » des uns et des autres après l'arrestation. Son plaidoyer est nettement plus élaboré que celui de mardi dernier. « On se demande pourquoi ces gens sont devant le tribunal. Je vais vous le dire. Biquouli bassata ou maoudouaâya (simplement et objectivement) ils ont enfreint la loi du 28 février 2006 fixant les règles et conditions de la pratique des cultes non musulman. C'est une loi qui contrairement à ce qu'on avance ici et là garantit et protège les communautés non musulmanes », déclame-t-il. L'Etat algérien protège, selon lui, ses communautés religieuses mieux que certains pays réputés multiconfessionnels. Il cite certains articles de ladite ordonnance : l'article 2 et 6, entre autres, la preuve, d'après lui, de la « bonne volonté » de l'Algérie à garantir les libertés religieuses. Concernant le fait nouveau dans ces deux derniers procès (celui de Habiba et des six) : la direction des affaires religieuses et de wakfs se constitue partie civile. Des dommages et intérêts Il déclare qu'elle est amplement justifiée par les préjudices occasionnés à cette autorité administrative, seule habilitée, selon la loi, à travers la commission nationale de cultes à délivrer les autorisations pour pratiquer un culte non musulman. Il termine son speech avec un sérieux : « Nous nous réservons le droit de réclamer dans cette affaire des dommages et intérêts. » Le procureur revient dans son plaidoyer sur la genèse de l'affaire et prend pour cible Rachid qu'il accuse de faire de son appartement une église illégale aux yeux de la loi puisque, dit-il, les articles 7 et 5 de l'ordonnance précitée codifient les règles d'affectation de locaux pouvant servir de lieux de culte. « C'est valable aussi pour les musulmans. Il n'est pas permis au premier venu de transformer sa demeure en lieu d'exercice collectif de culte. » Il regrette presque qu'on ait « amplifié » cette affaire des plus « banales » et « ordinaires » à ses yeux. Il terminera son réquisitoire par la peine requise à l'encontre des six accusés : 2 ans de prison ferme et 500 000 DA d'amende. Me Khelfoun Khelouja prend la parole et invite le tribunal à s'en tenir aux textes et précisément à l'article 11 de l'ordonnance. « Je suis devant un juge de la République algérienne démocratique et populaire et c'est selon les lois de cette République que je vous demande de juger mes clients », dit-elle. Les digressions de la partie civile (qu'elle conteste) et les fourvoiements et amalgames du procureur qui convoque à tour de bras des articles de la loi, ne doivent pas, d'après Me Khelfoun, être pris en considération par le tribunal. Dans sa plaidoirie, elle s'attaque d'abord aux arguments de la partie civile, puisés essentiellement dans les procès-verbaux de la PJ. Les interrogatoires seraient entachés d'irrégularités. « Je retrouve dans les PV des questions étranges comme celles relatives à l'appartenance politique, sur les voyages à l'étranger…Je dois dire que c'est une atteinte grave aux libertés politiques des citoyens, au principe de la liberté de circulation des personnes,etc. », plaide-t-elle. Me Khelfoun s'en prendra au procureur à qui elle reproche le fait de dire que la perquisition du domicile de Rachid n'a pas été faite à temps . Le procureur rectifie : « J'ai dit trop tard. Les six étaient déjà dehors. » L'avocate de la défense réitérera ensuite les arguments qu'elle avait développés mardi dernier, à savoir « que l'accusation de pratique sans autorisation d'un culte non musulman » n'a aucun texte de référence et ne s'appliquait pas sur les individus. « Ce sont les lieux de culte qui sont soumis à autorisation et non pas la pratique individuelle », hausse-t-elle le ton. Concernant les cas des six, elle déclare que c'était juste une « bande d'amis » et qu'aucun d'eux n'a été pris en possession ou en train de distribuer des documents servant pour ébranler (zaâzate) la foi des musulmans et que l'appartement de Rachid servait non pas comme lieu de culte puisque ne portant aucun signe distinctif, à l'extérieur comme à l'intérieur, mais un lieu de retrouvailles pour cette « bande de copains ». Me Khelfoun finira sa plaidoirie en réclamant l'acquittement de ses clients, demandant au juge de ne pas « condamner la différence religieuse ». « L'Islam, conclut-elle, est assez enraciné dans la société et n'a ni besoin d'un juge ni d'un tribunal pour être protégé et défendu. » Le verdict sera rendu mardi prochain.