Didier Lockwood, le célèbre violoniste et jazzman, a donné la semaine dernière un concert événement lors du 9e Festival culturel européen à la salle Ibn Zeydoun, sous les auspices du CCF. Et ce, après 22 ans d'absence ! Que ressentez-vous à l'issue du concert que vous avez donné à la salle Ibn Zeydoun à l'occasion du 9e Festival culturel européen en Algérie ? C'étaient des retrouvailles après 22 ans... Après vingt-deux ans d'absence, c'est le bonheur de retrouver Alger avec une nouvelle figure, image... J'ai trouvé un public très connaisseur et chaleureux. C'était un bon public qui vous a adopté... Ah bien oui ! C'était très communicatif. Et puis, il y avait beaucoup de filles par rapport à il y a 22 ans. (rires). A l'époque, j'étais venu deux ou trois fois en Algérie où j'avais été partout. C'est vrai, plus on s'éloignait d'Alger, moins il y avait de femmes aux concerts à Blida...(rires). Vous voulez dire que l'Algérie a changé... Ben oui ! Une évolution dans le bon sens, je veux dire. Découvrir à Alger un tel public nombreux, massif et très connaisseur. Car il était sensible. Je n'ai pas eu à user d'artifices pour jouer ce soir. Les gens ont même anticipé ce que j'allais faire. Alors qu'en France, cela n'est pas pareil car on y est en décadence. A mon avis, ici, vous êtes en évolution positive. Mais il faut la maintenir. L'hommage à Stéphane Grappelli vous tenait tant à cœur... Vous savez, dans cette existence, il y a des vies, des générations qui passent et il y a des gens extraordinaires. Il faut que l'on s'en souvienne contre l'amnésie. Et ceux qui naissent aujourd'hui, ne sauront pas qu'ils ont été précédés par des génies, par des gens qui ont essayé de faire avancer les choses. Dans notre société occidentale, on est dans l'immédiat. Gagner plus d'argent, rapidement, sans aucune qualité. C'est dangereux ! Je trouve que notre vie, la vôtre, comme la mienne, servent à tenter de faire avancer les choses. J'en suis sûr. Vous êtes un fiddler(*) universel : gypsy, chinois, country, oriental, irlandais... Je ne sais pas si vous l'avez ressenti quand je jouais de la musique chinoise. C'est vrai que si l'on étudie la musique chinoise, cela n'a pas grand chose à voir avec ce que j'ai fait. Parce que c'est un art ancestral. Même la musique orientale, elle répond vraiment à des codes très pointus. Moi, je fais sentir une saveur d'une musique comme une essence, une image, une carte postale... Je trouve que la musique fait voyager un petit peu. Et je m'en sers. Justement, vous avez un thème intitulé Globe-trotter résumant votre violon « espérantiste »... Je trouve que le violon est un instrument qu'on retrouve partout. Aussi bien en Algérie qu'au Brésil, en Israël, en Chine, au Japon, en Irlande... Je trouve que c'est une belle communion entre tous les peuples du monde. Dans le fond, si tout le monde jouait du violon, peut-être qu'il y aurait moins de problèmes.(rires). Vous bluffez le public sur scène. A un certain moment, l'on se demandait si vous ne jouiez pas en semi-recording pour ne pas dire en play-back... C'est du recording, mais en live (direct). Ce n'est pas du play-back. Rien n'est préparé avant. Je construis mes musiques, donc je m'enregistre en temps réel. Comme je joue du violon avec mes doigts (rires), j'appuie sur le bouton record avec mes pieds. Dès que j'ai interprété un morceau, je ferme l'enregistreur et ça tourne en boucle comme des séquences. Après, je construis en over-dubbing, c'est-à-dire en recording. C'est vraiment un moyen créatif. Comme l'archet qui jouait de la pédale Wah Wah hendrixienne... Oui, je joue en HF, sans fil comme la réception de la TV. J'essaie de faire en sorte que le violon soit ma voix la plus expressive passant de l'humour à la profondeur, au recueillement... Il y a toute la palette de sensibilité et d'expression. On découvre que Didier Lockwood est un violoniste qui fait du show... Oui, c'est une dynamique de groupe, de trio... D'abord, de communion sur scène à trois. On est obligé de faire très attention à l'un et à l'autre. On joue sans partition, c'est compliqué, mais cela dégage des valeurs très essentielles. Chaque instrumentiste avait ses minutes de gloire d'expression « démocratique »... Oui, un dialogue. On se pose des questions et on laisse l'autre répondre. On re-argumente. C'est à trois. Imaginez que nous sommes cent musiciens, on s'appellerait l'orchestre symphonique de jazz. (rires). Vous excellez dans le blues du delta... Moi, le blues, j'aime bien, oui. Vous savez, j'ai commencé par John Mayall, les Cream, Eric Clapton, Jimi Hendrix, Frank Zappa. Le jazz était trop compliqué pour moi. Je n'étais pas pop, mais rock des années 1970. J'avais commencé en France dans un grand groupe rock qui s'appelait Magma et qui jouait d'une manière extraordinaire. Non, je ne suis pas un jazzman sophistiqué, je viens de là, du rock. Vous avez joué avec des musiciens pop... Oui, j'en ai rencontré pas mal. Je connais Charlie Watts (batteur des Rolling Stones) parce que j'ai travaillé en Angleterre ou encore Roger Hodgson (chanteur de Supertramp) avec lequel j'ai travaillé et enregistré des disques. Ce sont de belles rencontres. Mais les meilleures sont celles avec les musiciens traditionnels extraordinaires très peu connus en Inde... Mais aussi, les jazzmen et les musiciens classiques. Maître de l'impro, vous faites « école »... Oui, j'ai une école d'improvisation et sur les arts improvisés. Actuellement, je monte tout un complexe culturel pluridisciplinaire, mettant en synergie la danse, la musique, les arts plastiques, le cinéma et tout ce qui est art improvisé. Feriez-vous de la fusion avec de la musique algérienne ? Cela fait longtemps que je travaille là-dessus avec un violoniste algérien qui s'appelle Ferhat évoluant dans mon école. En ce moment, je suis en train de composer la musique du feuilleton de l'été intitulé Cœurs de lumière sur France2. Une fiction se passant au Maroc. Donc, je suis obligé d'écrire de la musique orientale. Cela fait partie de mon métier de globe-trotter. (rires). Quant à la musique algérienne, je connais un peu ses modes. On Occident, on est dans la gamme et la tonalité. Ce n'est pas pareil. Je voudrais jouer avec des musiciens traditionnels, en Algérie, quand vous voulez ! In'challah ! (rires) (*) Violoniste www.didierlockwood.com