Jeudi dernier, dans l'enceinte de la salle Ibn Zeydoun, régnait une ambiance fébrile. Un je ne sais quoi de festif, d'électrique, pour ne pas dire d'acoustique dans l'air. La grappe humaine faisant le pied de grue depuis 17h30 était un signe patent d'un événement culturel. Et pour cause ! Le grand jazzman français, Didier Lockwood, le célèbre violoniste, y donnait un concert au grand bonheur des mélomanes et autres férus de jazz et ce, dans le cadre du 9e Festival culturel européen en Algérie, se déroulant du 9 au 31 mai 2008, sous les auspices du Centre culturel français (CCF). C'est dans salle une archicomble (sold out) — mêmes les travées ont été squattées et devenues un privilège — que Didier Lockwood et ses deux comparses, le guitariste, Jean-Marie Ecay, et le contrebassiste, Marc Michel Le Bévillon ont offert un concert sublime et grandiose, sans démesure ou autre flagornerie aucune. « Je suis très heureux et fier de revenir en Algérie, après 22 ans, fêter cet événement culturel avec vous et rendre hommage à un grand jazzman, Stéphane Grappelli... » accueillera-t-il son public. Aussi, Didier Lockwood — une sorte de David Lynch du violon, un air de bohème et de poème, costume gris, look gypsy, élégant, classieux dans ses emportements, ses tics et tocs et autre manœuvres orchestrales (comme dirait OMD) — évolue debout, assis, au débotté, avec une dextérité vertigineuse et puis il joue plus vite que son ombre. Une coquetterie géniale et très insolente. Lockwood, lors de ce « tribute » à l'endroit de Stéphane Grappelli, dont la marque de fabrique était l'humour et la mélodie en matière de jazz, avec son archet faisant office de baguette — maestro oblige — interprétera des thèmes comme Les Valseuses (bande originale du film éponyme signée Stéphane Grappelli), Nuage de Django Reinhardt que Grappelli affectionnait énormément Barbizon Blues, une cosignature Lockwood-Grappelli, Martinique, Sentimental Mood de Duke Ellington, Globe-trotter, un hymne à tous les violons des musiques du monde ou encore l'incontournable standard Minor Swing de Django Reinhardt. Dans sa performance scénique, Didier Lockwood n'aime pas parler de show mais de dynamique. La preuve ! Son violon magique parle, respire, expire, gémit, rugit, exulte de par des notes hilarantes, ludiques, psychédéliques, japonisantes, levantines, orientalisantes, piquées, crissées, célestes, primesautières, nonchalantes ou encore planantes. C'est que dans les notes de Lockwood, qui ne sont que bleues, il existe une certaine générosité, une émotion et puis ces « sautes d'humeur » montrant et démontrant l'écléctisme magistral d'une tablature allant de la biguine antillaise aux douze barres du blues (du Delta), en passant par les sonorités marocaines ou encore celles nostalgiques à Jimi Hendrix et sa fameuse et pionnière pédale Wah Wah. Une partition soutenue par des effets numériques modulant le son du violon comme l'écho, l'enregistreur en temps réel... D'ou cet effet « bœuf » electro encore une fois sidéral et sidérant ! « J'ai trouvé un public très connaisseur et chaleureux. C'était très communicatif et puis beaucoup de filles par rapport à il y a vingt ans.(rires) », nous confiera Didier Lockwood à l'issue du concert. Bref, vraiment ça a jazzé et swingué à Alger. Ce fut une Night in Algeria (par opposition à Tunisia, le standard jazz) retenue par Didier « loukoum » !