Des citoyens nous ont fait part avec beaucoup d'émotion de la tuerie de cerfs de Berbérie par des groupes de braconniers. Une biche gestante a été tuée, éventrée, et son petit jeté aux chacals la semaine dernière par des personnes armées de la localité d'El Frin. Ce ne serait pas la seule. Il y aurait eu à leur connaissance une demi-douzaine de bêtes abattues depuis avril dernier par trois groupes de chasseurs qui ont repris du service ces derniers mois. Ils n'hésitent même plus à pénétrer en territoire tunisien pour débusquer les cerfs qui y ont trouvé refuge, parce que inlassablement pourchassés et massacrés sur le territoire algérien. Les personnes qui nous ont contactés, parmi lesquelles on compte d'anciens chasseurs, sont révoltées parce qu'elles ont conscience qu'il s'agit là des derniers individus d'une population naturelle qui a été effacée de la carte, alors qu'autrefois elle pullulait dans la région où elle gambadait librement dans les forêts et les maquis. Les écumeurs ne sont pas de simples quidams. Ce sont des gens armés qui circulent de nuit sans contrainte et qui tirent des coups de feu dans un secteur contrôlé par les gendarmes gardes-frontières (GGF). Il faut pour cela, bien entendu, bénéficier d'une solide protection, celle qu'offre le statut d'« intouchable » qui vous hisse au-dessus des lois réservées à la plèbe : des retraités des services de sécurité, des magistrats, des élus qu'accompagnent des GLD en guise de guides. Le long des routes qui mènent à El Kala, il y a des panneaux qui indiquent que çà et là des cerfs traversent. Ne vous y méprenez pas ! Il y a bien longtemps que ce seigneur de la forêt ne hante plus ces lieux. La population qui comptait encore quelque 300 individus au milieu des années 1980 a complètement disparu, décimée par les effets conjugués de la chasse et la réduction de son aire géographique. Il n'y a que les individus que l'on compte sur les doigts d'une main, parce qu'ils ont eu la maladresse de revenir sur le territoire algérien. Ils ne survivent que quelques semaines, le temps de se faire repérer. On les tue pour la viande certes, mais c'est surtout pour s'adonner au plaisir de la traque. On vous dira qu'il y a d'autres cerfs dans la région mais, ironie du sort, ils vivent, et on peut les voir dans l'enclos d'une réserve, au milieu d'un territoire qui était le leur bien avant que l'homme n'apparaisse sur Terre. Ces animaux, une trentaine, sont le produit d'un élevage destiné à repeupler les secteurs où il a disparu. Mais là encore, le sort en a décidé autrement. Les premiers sujets relâchés il y a quelques mois n'ont pas trouvé l'espace suffisant pour se nourrir et se reproduire sans dérangement et pouvoir ainsi reconstituer une population au sens propre du terme. On ne signale, çà et là, que les plus résistants. Rarement des femelles. Les programmes pour tenter de sauvegarder un population de ce qui a été le seul grand mammifère de nos régions ont lamentablement échoué. On en veut pour preuve cette réserve de plusieurs centaines d'hectares dans le Kef Dzaïr, entièrement clôturée et aménagée, réalisée sur des fonds de la Banque mondiale, mais qui n'a jamais pu servir pour des raisons de planification fantaisiste. Abandonnée, elle a fini par disparaître par cannibalisme. On a lui volé ses kilomètres de clôture grillagée, ses tuiles, ses portes, ses fenêtres et même les carreaux du sol. Une équipe de la réserve cynégétique de Zéralda, dirigée par le Dr Benhamza, a séjourné récemment à El Kala pour tenter une approche sur le comportement de la population dans le cas d'une réintroduction de cerfs. On en est malheureusement là. Et pour finir, rappelons que tout cela se passe dans un parc national de renommée mondiale, classé réserve de la biosphère par l'Unesco, et dont la vocation première est de protéger les espèces et les espaces naturels.