Hormis les parents des victimes qui en souffrent encore mais qui n'ont peut-être pas pris la mesure complète du massacre, combien d'Algériens aujourd'hui se souviennent du carnage du 28 décembre 1956 ? Le savent-ils seulement, sans vouloir faire offense au respect qu'ils témoignent pour leur histoire. C'était une « ratonnade », disaient-ils, comme ils diraient « citronnade » en ce lendemain de Noël et de veille de réveillon du nouvel an 1957. Un euphémisme lugubre pour désigner un lynchage semblable en tous points tant dans la démarche méthodique que dans la sauvagerie et l'impressionnante charge de haine, aux boucheries de Guelma-Sétif- Kherrata de Mai 1945 ou celles de Skikda, le 20 Août 1955. L'histoire de la colonisation de l'Algérie est jalonnée de telles immolations de masse. 400 morts ! Cela n'est pas un scoop, ce n'est pas non plus El Moudjahid, organe central de la révolution algérienne, qui avançait ce chiffre hallucinant, on l'aurait promptement taxé de propagande. Mais il a coulé de la plume, ô combien vindicative d'un ultra : Jean Jacques Susini en l'occurrence, co-fondateur avec Pierre Lagaillarde et le général Raoul Salan de la sinistre Organisation de l'armée secrète (OAS), dans un article publié par la revue Historia en... 1971. Un papier consacré aux obsèques d'Amédée Froger, le maire de Boufarik et président de l'interfédération des maires d'Algérie. 400 morts en cette terrible journée où des témoins ont vu des membres du cortège funèbre en proie à un délire macabre, s'acharner à coups de barres de fer sur des femmes et projeter des Algériens du haut des boulevards Zighout Youcef et Che Guevara pour s'écraser 10 mètres plus bas, sur les pavés du Bastion. Une voiture de marque Renault « 4cv » et ses occupants tous Algériens, évidemment, a été soulevée et précipitée depuis le boulevard Abdelhamid Kebladj (ex-Pitolet) à Bologhine, sur les rochers du bord de mer. L'histoire dira plus tard que le « maire des maires » d'Algérie, comme on appelait l'édile de Boufarik un « écorché vif Algérie française » n'a pas été exécuté par les commandos du FLN et encore moins par Ali la Pointe, comme la presse et les politiques l'avaient affirmé. Yacef Saâdi a démenti dans ses mémoires d'avoir attenté en quoi que ce soit à la vie de Froger (*). « ... L'attentat de Froger n'était pas de notre fait », écrit le chef de la zone autonome d'Alger. « Nous n'avions pas besoin de cet encombrant personnage pour faire avancer l'essentiel de nos revendications. Certes, il constituait une cible tentante... Il faisait partie du clan le plus rétrograde de la colonisation... » Tout comme l'attentat au bazooka contre le général Salan, tout porte à croire qu'il s'agissait là de la besogne d'une des multiples et obscures organisations pilotées par les ultras qui foisonnaient dans les services de police, de la gendarmerie, des unités territoriales et de l'armée. Des assortiments dans lesquels figuraient immanquablement les Achiary, maître tueur de Guelma, Thomazo « Nez de cuir », colonel des unités territoriales de son état, des commissaires comme Troja ou le fielleux docteur Kovac et bien d'autres. Ces sectes d'assassins, tourbes politicosociales manipulées par le gros colonat, se regroupaient dans des comités, des collectifs et autres grappes de jusqu'au-boutistes tel le « Comité des Quarante », auteur de l'attentat à la bombe de la rue de Thèbes qui avait fait 70 morts et avait soufflé tout un îlot de La Casbah le 10 août 1956. Nous publions ci-après trois extraits de témoignages, dont celui de Jean Jacques Susini, père de l'OAS, aujourd'hui (comme il se doit), militant actif du Front national de Jean Marie Le Pen. Le second fragment est dû à Yves Courrière, lequel a également crapahuté ici, avant d'écrire sa monumentale Guerre d'Algérie en quatre tomes. Un gros reportage qui malgré son caractère approximatif partial et partiel, souvent fantaisiste comportant des erreurs grossières, a le mérite d'exister. Il abonde dans cet extrait, dans le sens de Susini et rapporte la tragédie de cette journée du 28 décembre 1956 qui, semble hélas complètement oubliée (comme tant d'autres) par les autorités concernées en Algérie. Mais comme dit l'adage : « Il n'est jamais trop tard, etc ». Tout comme le deuxième, le troisième extrait est aussi d'Yves Courrière, il relate ainsi que le ferait un article consacré à un fait (tout à fait) divers, l'assassinat en quelques heures de 80 Algériens, tous coupables d'être des Algériens qui se trouvaient au mauvais moment, autrement dit depuis toujours, au mauvais endroit, c'est-à-dire chez eux en Algérie. * Yacef Saâdi. La Bataille d'Alger. Tome 1. Editions du témoignage chrétien. Paris - 1982. Pp. 238-239.