Le métier de boulanger, déjà en net déclin, est désormais exposé à toutes les tricheries. L'art de faire le pain n'est plus une noble activité. « Les vrais boulangers d'antan ne sont qu'une infime minorité, car la plupart, exerçant actuellement, sont des trafiquants et des tricheurs », dénoncera Amar Boutamine, coordinateur de wilaya de l'union générale des commerçants et artisans algériens (UGCAA). Notre interlocuteur, lui-même boulanger, notoirement connu à Constantine depuis les années 1940, ne mâche pas ses mots lorsqu'il parle d'une tricherie généralisée sur le poids de la baguette, qui n'excède pas 180 g, alors qu'il est fixé par la loi à 250 g. Plus grave encore, des boulangers n'hésitent pas à recourir à un usage frauduleux de l'acide citrique et de l'aspirine, le mettant dans la pâte pour accélérer la fermentation de la levure dans les fours rotatifs. Une pratique formellement interdite puisqu'elle expose la santé des consommateurs à un danger réel, surtout les sujets sensibles à ces produits. « Le contrôle fait encore défaut, car la direction du commerce, et en dépit de toutes les volontés, n'a pas les moyens humains et matériels pour débusquer tous les contrevenants dans les 318 boulangeries recensées officiellement dans la wilaya, dont 248 commerces uniquement à Constantine », notera le coordinateur de l'UGCAA, qui révèle l'existence de nombreuses boulangeries clandestines, activant uniquement de nuit et qui font travailler des gens au noir, ce qui a favorisé la vente informelle dans la rue où le pain, déjà fabriqué dans des conditions douteuses, est exposé à toutes les saletés. « C'est un problème de conscience de la part des gens du métier, mais l'Etat a, en grande partie, encouragé ces pratiques en refusant d'assumer ses responsabilités envers les boulangers », dira-t-il, et de poursuivre : « Nous avons toujours proposé des solutions concrètes sans toucher au prix du pain, par la réduction des charges, notamment les impôts, mais nous n'avons pas trouvé d'écho favorable », précisera encore Amar Boutamine, qui rappelle que le prix de la baguette n'a pas changé depuis 1996, alors que les prix des matières premières, les salaires, et les charges liées à la consommation de l'énergie et de l'eau ont considérablement augmenté, ceci sans parler des redevances fiscales. Une trentaine de boulangers ont déjà mis la clé sous le paillasson ces derniers mois, alors que d'autres ont carrément changé d'activité. « Les vraies boulangeries, fonctionnant au four à briques et qui faisaient le vrai pain dans la vieille ville, ont complètement disparu pour céder la place à des commerces gérés par des gens avides de gain facile, alors que les jeunes boudent ce métier noble, mais désormais menacé de disparition », conclura avec amertume Amar Boutamine.