Si l'offre n'est jamais assurée en quantité suffisante, la qualité de la baguette laisse à désirer, sans compter le fait qu'on n'hésite pas à y ajouter des produits nocifs pour la santé. Alors que le pays vend son pétrole à 70 dollars le baril, le pain, aliment de base depuis la nuit des temps, est devenu un vrai problème ! Le noble métier de boulanger est en train de disparaître. Et ce n'est pas de l'alarmisme, c'est une réalité amère. D'autre part, c'est un véritable cri du cœur que lancent la plupart des Constantinois avec lesquels nous avons évoqué ce problème. La troisième ville du pays manque de pain, dans le sens où ce produit de première nécessité se fait désirer à partir d'une certaine heure. Passé midi, on est sûr de ramasser de l'ersatz de pain, des flûtes à l'aspect bizarre, le plus souvent ayant traîné dehors à la merci des poussières, du soleil et des pots d'échappement des voitures. C'est le premier problème que les visiteurs de Constantine relèvent. Un monsieur, qui se faisait une haute idée de cette ville antique, est catastrophé par la rareté de ce produit, pour lequel il faut se lever très tôt et faire la chaîne, par n'importe quel temps. « C'est mon éternel problème, dit-il, je n'y comprends rien, je suis obligé de laisser un travail urgent pour aller en quête de pain, et quand on en trouve, il est tout simplement immangeable ». Certes, en conviennent d'aucuns, faire du pain est un métier très dur ; il faut se lever très tôt, se fatiguer, et suer, mais n'est-ce pas là toute la considération due à cet aliment sacré ? Il fut un temps où le jeter relevait du sacrilège. A présent, nous le trouvons à côté des bennes à ordures, et personne ne s'en offusque. Selon un boulanger très ancien, « les charges et les impôts sont trop lourds, et le prix de la baguette (7,50 DA) est dérisoire par rapport au coût de la main-d'œuvre, l'énergie et la matière première ». Pourtant, l'on compte 552 boulangeries dans la wilaya, dont plus de 300 au chef-lieu. Beaucoup, cependant, ont baissé rideau pour de nombreuses raisons, comme les litiges entre héritiers, l'absence d'artisans boulangers, l'aversion des jeunes pour le métier…des sources bien informées nous font savoir l'existence d'un nombre indéterminé de boulangers exerçant au noir, dans des conditions désastreuses. Ils travaillent clandestinement dans des garages, ou autres hangars, trichant sur le poids de la baguette (180g au lieu des 250g réglementaires), utilisant de l'aspirine en poudre et d'autres produits prohibés pour « activer la fermentation des pâtons ». Pour finir, ils écoulent ce semblant de pain à des revendeurs « agréés, ceux-là, puisque possédant un registre de commerce en bonne et due forme, et à des gamins qui l'exposent dans la rue », indiquent nos sources. Certains boulangers connus, ayant pignon sur rue, ont recours à ce dernier procédé, et la baguette se vend 10 DA. Que font alors tous les organismes concernés, entre police, direction du commerce et syndicat des boulangers ? L'Etat doit consentir des efforts pour revaloriser ce métier, d'une importance stratégique. Il reste encore quelques artisans boulangers dignes de ce nom, qui demandent non seulement à travailler, mais à apprendre le métier, le vrai, aux jeunes, sinon comment assurer la relève ?