Il y a des jours où l'impression de brasser du vent prend une étrange et désagréable consistance. L'on se met à douter de tout et même de rien. Voilà deux semaines, nous publiions ici la contribution de deux universitaires spécialistes du théâtre, en l'occurrence les professeurs Makhlouf Boukrouh et Ahmed Cheniki, qui se sont associés pour produire un document pour le moins intéressant sur notre théâtre et son avenir (voir notre édition du 5 juin). Le condensé que nous donnions de ce document reflétait le contenu du document qu'ils ont produit : rappel historique, état des lieux et, ce qui est rare pour des chercheurs, propositions pratiques pour donner à cette discipline un nouveau souffle. Nous appelions les gens de l'art comme les lecteurs à participer au débat. Depuis, rien, pas une lettre. Nous n'attendions pas à une mobilisation générale de la société qui a sans doute d'autres chats à fouetter, même si les chats ne le méritent pas. Aujourd'hui, il est indéniable que la vie culturelle a repris en Algérie après des années d'atonie. Les programmes se sont étoffés en nombre et en diversité. Les initiatives se multiplient, gagnant même progressivement l'intérieur du pays. Dans ce frémissement sans doute positif, il manque quelque chose, comme dans une peinture qui pourrait être magnifique mais qui reste entachée d'un défaut irrémédiable. Les choses se font mais la réflexion manque. Les échanges manquent. La critique manque. Le débat culturel est absent. Tout le monde s'en plaint mais bien peu de personnes ne prennent la plume pour dire ce qu'elles pensent de l'évolution de la création. Quelles thématiques ? Quels styles ? Quelles tendances ? Quelles organisations ? Quelles formations ? Quels mécanismes de soutien ? Quels rapports à notre patrimoine dans l'expression artistique ? Et surtout quelles exigences de qualité ? Il ne s'agit pas seulement de réfléchir aux conditions de développement des activités mais également de penser aux contenus et aux formes. Sans échanges, l'art peut rapidement devenir une gesticulation sans âme et sans grandeur. Le débat est vital pour le théâtre comme pour les autres disciplines. Or, jusqu'à présent, les discussions se passent dans des cercles d'intimes et se limitent trop souvent à des considérations subjectives sur les individus. Quand donc les écrivains et les artistes se décideront-ils à dépasser leurs inimitiés, leurs préjugés mutuels, voire leurs égos pourtant nécessaires à leur travail de création, pour s'exprimer sur le devenir de leurs disciplines respectives, réfléchir à leurs pratiques et conditions et formuler des projets ? Quand donc naîtra le débat sur la culture et nos arts, associant les universitaires et tous ceux qui pourraient y participer ? Pour l'instant, l'image du couffin sans anses s'applique hélas avec précision à la situation actuelle.