Il faut dire que le président Bouteflika a pris à contre-pied tout son monde avec le changement qu'il vient d'opérer à la tête de l'Exécutif. On attendait le chef de l'Etat sur un dossier de brûlante actualité portant sur la révision constitutionnelle auquel il réserve encore sa réponse. Alors que quelques mois seulement nous séparent de l'échéance de l'élection présidentielle d'avril 2009, voilà que Bouteflika sort de son chapeau un lapin qui a dérouté plus d'un. Si la perspective du changement de gouvernement pouvait constituer une option sérieuse et crédible il y a quelques mois, elle apparaissait, pour nombre d'observateurs, désormais dépassée aujourd'hui voire comme une hypothèse saugrenue dès lors que le pays entame la dernière ligne droite avant l'élection présidentielle. On ne change pas à 9 mois d'une échéance politique aussi importante un gouvernement dont la fidélité à Bouteflika ne s'est jamais démentie et dont la responsabilité du bilan est partagée avec le président de la République quand on connaît les limites constitutionnelles des prérogatives du chef du gouvernement qui fait office de simple « coordonnateur » de l'Exécutif comme l'avait admis Abdelaziz Belkhadem. A moins d'une crise politique grave qui pousserait alors Bouteflika à se séparer sans le moindre état d'âme de M. Belkhadem. Nous ne sommes pas apparemment dans cette posture dans la mesure où l'ancien chef de gouvernement conserve son poste de ministre d'Etat et représentant personnel du président de la République. Ce qui signifie qu'il garde encore – théoriquement – toute la confiance de Bouteflika. A moins que ce soit une voie de garage ; une pratique vieille comme le système politique algérien qui permet au pouvoir de digérer les crises politiques et institutionnelles à moindre frais en termes de consensus politique et d'équilibre entre les différents clans du pouvoir. Alors à quoi rime donc le coup de tonnerre du changement à la tête de l'Exécutif qui est intervenu dans un ciel, selon toute apparence, des plus sereins. Quelques heures plus tôt, M. Belkhadem recevait le Premier ministre français M. Fillon et conduisait la délégation algérienne aux pourparlers et à la signature des contrats paraphés à l'occasion de cette visite. L'heure du bilan a sonné Rien n'indiquait que M. Belkhadem était assis sur un siège éjectable dont tous les boulons étaient déjà dévissés. Savait-il qu'il était partant ? En a-t-il été informé ? Rien n'est moins sûr. C'est là aussi une vieille pratique du système : le chef de gouvernement remercié est toujours le dernier à apprendre son limogeage. Un ancien chef de gouvernement nous avait révélé avoir appris son éviction en arrivant à son bureau par le biais d'une dépêche APS alors qu'il venait de quitter quelques minutes plut tôt le président de la République au siège de la Présidence avec lequel il avait fait le point sur certains dossiers en cours dans une ambiance de travail des plus ordinaires. Il était loin d'imaginer que son sort était déjà scellé. Que pouvait donc reprocher Bouteflika à l'ancien chef de gouvernement. Son bilan ? C'est aussi celui de Bouteflika. Belkhadem n'aura été qu'un conducteur des travaux du programme présidentiel. S'il avait failli dans sa mission pourquoi avoir attendu le dernier quart d'heure pour lui retirer la confiance et nommer un autre chef de gouvernement qui ne pourra jamais, à moins de croire aux miracles, réaliser en 9 mois les travaux d'Hercule laissés par Belkhadem et avant lui par les autres gouvernements qui l'avaient précédé. Il s'agit de tous les grands chantiers ouverts, les conflits sociaux, les émeutes, et toutes les promesses électorales non tenues ou réalisées partiellement sur lesquelles Bouteflika a été élu durant son premier et son second mandats. L'hypothèse la plus plausible – et c'est d'ailleurs une caractéristique de la gouvernance en Algérie – est que encore une fois le chef de gouvernement a été utilisé comme fusible. Comme l'heure du bilan a sonné avec l'élection présidentielle qui pointe à l'horizon et que les résultats obtenus ne sont pas le moins que l'on puisse dire mobilisateurs pour un troisième mandat, il fallait à Bouteflika , estiment d'aucuns, un bouc émissaire pour se dédouaner de ce bilan et se refaire une santé politique. L'élection présidentielle en point de mire Autre hypothèse : Ouyahia a été rappelé à la manière d'un réserviste de l'armée pour ses performances dans l'organisation des scrutins présidentiels. C'était son gouvernement qui avait préparé et organisé l'élection présidentielle d'avril 2004 qui avait porté Bouteflika à la tête de l'Etat pour un second mandat présidentiel. Le manque de transparence et de visibilité politique dans le système de gouvernance en Algérie autorise toutes les lectures possibles et imaginables quant à ce changement impromptu de gouvernement qui n'est bon ni pour la stabilité des institutions de l'Etat ni pour le sérieux et la respectabilité de l'Etat par nos partenaires étrangers. Comme cette question qu'osent certains analystes de savoir si les décideurs de l'ombre en accord avec Bouteflika n'ont pas ouvert avec le rappel de Ouyahia au gouvernement la voie de la succession selon un calendrier négocié entre les différentes parties. Ouyahia qui semble être le candidat du pouvoir pour l'après-Bouteflika parait avoir pris un sérieux ticket dans l'optique d'un troisième mandat de Bouteflika qui se confirme par petites touches. Sinon à quoi sert-il à Bouteflika de changer le gouvernement en fin de mandat s'il n'a pas des ambitions politiques pour rester encore aux affaires le temps d'un autre mandat ou ce qui est humainement possible pour lui compte tenu de son état de santé ? Le poste de vice-président préconisé dans le cadre de la révision constitutionnelle semble être taillé sur mesure pour Ouyahia avec cette nouvelle place qu'il occupe sur l'échiquier. Ainsi, la stabilité de l'institution présidentielle et des autres institutions de l'Etat sera-t-elle sauvegardée dans l'hypothèse où Bouteflika n'irait pas au bout de son troisième mandat. Ouyahia sera là pour prendre le témoin et assurer la continuité de l'Etat et la poursuite du mandat présidentiel. Et la boucle sera ainsi bouclée dans les formes constitutionnelles.