Ouyahia cache-t-il son jeu en entretenant, par son silence parlant, le doute sur les raisons de son départ volontaire ou de son limogeage du gouvernement. Etre ou ne pas être, là est la vraie question ou réponse qu'attend l'opinion de l'ancien chef du gouvernement qui a quitté l'Exécutif sans vraiment avoir abandonné les allées du pouvoir. Il y a quelque chose de shakespearien dans l'attitude de Ouyahia qui se confine à une dramaturge politique de mauvais goût. Officiellement, Ouyahia a quitté le gouvernement même si l'on ignore les raisons qui ont présidé au changement opéré à la tête du gouvernement. Mais dans tous les cas de figure lorsque l'on se trouve à un tel niveau de responsabilité, on n'abandonne pas le navire sur une saute d'humeur. On le fait pour des raisons plus convaincantes. Le manque de transparence ne laisse d'autre choix qu'aux conjectures politiques pour tenter de démêler l'écheveau politique inextricable dans lequel se trouve empêtré le système politique algérien suite au coup de théâtre du changement du gouvernement. Conjecturons donc, il en restera peut-être quelque chose ! La première hypothèse qui vient à l'esprit est la suivante : A supposer qu'Ouyahia ait démissionné de son propre chef parce que n'étant pas d'accord avec l'offensive bien inspirée du FLN de réviser la Constitution pour permettre au président Bouteflika de briguer un troisième mandat et apporter les aménagements constitutionnels à la loi fondamentale de nature à conforter l'ordre politique et le pouvoir en place. Assumer une telle position, chose qu'Ouyahia avait fait publiquement en avouant que ce n'était pas là une préoccupation de son parti et donc pas la sienne, c'est en soi une position politique, un choix programmatique et stratégique qui répondent à une vision et des enjeux politiques qui ne peuvent qu'être clairs dans son esprit. Plus clairement encore, cela signifie qu'il refuse de cautionner un troisième mandat pour Bouteflika ou de s'inscrire dans un scénario politique et constitutionnel qui poserait à travers la révision constitutionnelle les jalons de la succession à Bouteflika telle que ce dernier la voudrait. C'est-à-dire poursuivre les « chantiers » ouverts par Bouteflika sans Bouteflika. La maladie du Président est en effet une donne nouvelle que les sponsors politiques du Président autant que le chef de l'Etat lui-même ne peuvent occulter ou ignorer sauf à vouloir jouer le sort de l'Algérie à la roulette belge après l'avoir déjà joué à la roulette russe avec les conséquences tragiques que l'on sait. Le double rôle de Ouyahia En refusant de suivre donc son parti rival le Fln concernant la révision constitutionnelle, Ouyahia choisit par conséquent clairement son camp. Il se place dans une posture politique nouvelle sinon hostile et en opposition par rapport à Bouteflika, du moins autonomiste du point de vue de l'action politique et de la gestion de sa carrière politique. Mais là s'arrête la conjecture politique, car lorsque l'on entend Ouyahia réaffirmer, visiblement contraint et forcé, son soutien à Bouteflika et à son programme d'action, on ne peut pas ne pas suspecter Ouyahia de camper un double rôle. Les mots et les actes politiques ont un sens. Quand un responsable démissionne de son poste, c'est qu'il n'adhère plus à l'homme qui l'a porté à ce poste et à ses idées. Ouyahia fait apparemment exception à cette règle. Il n'était apparemment plus sur la même longueur d'onde politique avec Bouteflika, se sépare de lui à l'amiable et quitte l'Exécutif mais continue curieusement à croire et à soutenir le programme du Président. C'est sa manière à lui de se défendre ; il tend l'autre joue quand il reçoit une volée de bois vert ! Les contradictions de Ouyahia ne s'arrêtent pas là. Il réaffirme également, même après son départ du gouvernement, que son parti restera dans l'Alliance présidentielle même si l'air dans cette chapelle atypique devient pour lui et son parti franchement irrespirable. Pourra-t-il continuer à cohabiter avec ses bourreaux du Fln et du Msp qui ont contribué à son éviction du gouvernement ? Ce n'est pas tout : il ne faudra pas compter également sur lui pour retirer ses ministres du gouvernement, lesquels furent tous reconduits dans l'ancien-nouveau exécutif dirigé par son allié virtuel, Abdelaziz Belkhadem. En continuant à louer les bienfaits du programme présidentiel et à exprimer son soutien au président tout en prenant ses distances du président de la République en ne travaillant plus sous son autorité et à ses cotés, Ouyahia se piège sans le savoir ou le vouloir en se mettant dans la peau de quelqu'un qui quitte son poste suite à un échec personnel. On le sait, le système a toujours broyé ses hommes, mais le summum a été atteint par Ouyahia qui n'a même pas eu droit à jeter l'éponge pour donner l'illusion d'avoir réellement livré un combat.