L'expérience de 17 ans de la fonction de chef de gouvernement lui a donné un contenu. Il est d'abord fait de pouvoirs de décision économique. Abdelaziz Belkhadem - en campagne pour une présidence encore plus forte - prend le pari risqué de ne pas se fondre dans le moule. Abdelaziz Belkhadem, le nouveau chef du gouvernement, va-t-il apporter une orientation différente à la conduite des affaires économiques ? Le leader du FLN a peu fait étalage de ses convictions doctrinales dans ce domaine durant sa longue carrière politico-administrative. Si peu qu'il s'est trouvé un commentaire de presse pour résumer sommairement les premières mesures qui « le tenteraient » : rétablir l'importation des véhicules de moins de trois ans sous la pression des moudjahidine et rétablir l'interdiction de l'importation des vins par conviction religieuse. Plus sérieusement, Abdelaziz Belkhadem s'est révélé ouvertement keynésien lorsqu'il a plaidé, en février dernier, une augmentation des salaires de la Fonction publique pour soutenir la consommation des ménages. Il a même pris le soin de préciser qu'une augmentation de ces salaires - dans quelles proportions ? - ne remettrait nullement en cause « les acquis de la stabilisation macro-économique », manière d'afficher son attachement à la rigueur financière entrée dans les mœurs de gouvernement dans les années 90. C'est trop peu pour épiloguer sur une politique de distribution des revenus moins inéquitable. La volonté de « déshabiller » le malthusianisme social de Ahmed Ouyahia pour l'affaiblir a pu compter plus qu'une vraie conviction social-démocrate. Pour rappel, la part des revenus du capital dans le revenu national disponible a augmenté de 4% alors que celle des salaires a baissé de 3% de 2001 à 2005. Une identité économique en pointillé Les thèmes économiques sur lesquels s'est livré le nouveau chef du gouvernement sont donc trop rares pour autoriser un pronostic. Il a remplacé au pied levé, fin novembre dernier à Barcelone, le président Bouteflika, transféré au Val-de-Grâce, et y a fait une sortie jugée fort peu diplomatique, au sujet des promesses non tenues du processus euroméditerranéen à l'occasion de ses dix ans. Cela n'en fait pas pour autant un « eurosceptique » n'attendant pas grand-chose du partenariat avec l'UE. De même l'absence de commentaire sur la loi sur les hydrocarbures, le rythme des privatisations ou encore même les résistantes au sein de son parti, le FLN, à la réforme du statut du foncier agricole, font du Premier ministre une énigme de politique économique. Autant dire dans ce cas un homme de continuité, pas de rupture. Et ce n'est pas un hasard. Abdelaziz Belkhadem est au palais du gouvernement pour arrimer la fonction de Premier ministre à la présidence de la République. Les orientations de la révision constitutionnelle qu'il prône diluent les prérogatives du chef du gouvernement dans une animation technique de l'action de l'Exécutif. Or pour l'essentiel, c'est par les pouvoirs d'arbitrage et de nomination dans le domaine économique que s'est affirmée la fonction de chef du gouvernement depuis sa création au lendemain immédiat des évènements d'octobre 88. L'expérience de ces 17 dernières années a montré aux investisseurs et aux opérateurs économiques que ce qui compte le plus ce ne sont pas tant les convictions doctrinales d'un chef de gouvernement - si tant est qu'il dispose de quelques-unes - mais sa capacité à les mettre en œuvre. Il faut bien noter à ce sujet que les deux chefs du gouvernement qui ont le plus marqué la fonction de leur passage, Mouloud Hamrouche et Belaïd Abdeslam, sont ceux qui avaient une « identité économique » forte - le premier avec les réformes de marché le second avec l'économie de guerre - et une grande autonomie à l'égard d'El Mouradia, le premier face à un président Chadli démonétisé par octobre 88 et le second devant un HCE paralysé par l'assassinat de Mohamed Boudiaf. Dans le cas de Abdelaziz Belkhadem nous sommes bien dans le cas de figure inverse : pas de saveur économique, pas d'autonomie vis-à-vis de la présidence. Le plus grand patron d'Algérie L'exercice de la fonction recèle toutefois bien des surprises. Ali Benflis y avait atterri en août 2000 avec la même mission que Belkhadem aujourd'hui : s'effacer au maximum au profit du Président et dépouiller la fonction de son rôle constitutionnel trop important aux yeux de Abdelaziz Bouteflika. On sait comment cela s'est terminé. Dans les faits, ce sont les prérogatives économiques qui ont, concrètement à chaque fois, enfoncé le clou entre le président de la République et le chef du gouvernement. Parmi les griefs ébruités du président Bouteflika à Ahmed Ouyahia - outre sa résistance passive à la révision de la Constitution - son peu de soutien à l'implantation en Algérie d'investisseurs khalijites ; « ils ont engagé 12 milliards de dollars au Maroc depuis que je suis Président », aurait-il déploré. L'agenda et les arbitrages du chef du gouvernement sont chargés d'enjeux d'affaires. Ahmed Benbitour a démissionné de son poste parce que le secteur public économique a été réorganisé par ordonnance législative présidentielle à son détriment. Or, en présidant le Conseil national des participations de l'Etat (CNPE), le chef du gouvernement est le plus grand patron d'Algérie. Il est à la tête de la totalité de l'actionnariat public et même si c'est pour le céder au privé, ces dernières années, par petites tranches d'unités ou d'entreprises, cela procure un incontestable pouvoir politique. Suffisant pour tourner la tête à Abdelaziz Belkhadem ? La fidélité au Président le caractérise plus que la fidélité à ses propres idées. Cette fois il s'agit de faire hara-kiri avec la fonction de chef du gouvernement. Cela mérite réflexion.