Tout en déclarant avoir confiance en la justice, le Pr Ahmed Rouadjia, suspendu de son poste à l'université de M'sila, juge cette mesure d' « arbitraire » voire d'« illogique ». Pour autant, le maître de conférences, rentré d'exil en 2005, est décidé à continuer de combattre pour ses idées. Avec un langage direct et dépouillé de tout artifice, il revient sur la nature de ses démêlés avec le recteur de l'université de M'sila, en expliquant la teneur de ses articles-polémiques publiés dans la presse nationale. Entretien ! M. Rouadjia, vous avez été suspendu de votre poste de professeur, depuis le 22 juin 2008, par le recteur de l'université de M'sila. Quelles sont les circonstances exactes qui ont entouré cette décision ? Pour comprendre le contexte de ma suspension de mon poste avec blocage de mon salaire par le recteur, il faut revenir un peu en arrière. Durant l'année 2007-2008, j'ai publié une série d'articles dans la presse nationale, notamment dans EL Watan et Algérie News sur des sujets d'intérêt variable, mais dont la majorité portait sur l'enseignement supérieur et la recherche scientifique que je trouve sinistrés, de mon point de vue. Mais de tous ces articles, celui qui a soulevé le plus la colère de du recteur est le papier reproduit par El Watan en date du 9/10 mai 2008, et intitulé « L'université algérienne en général et celle de M'sila en particulier ». Que dis-je en substance dans cet article qui a soulevé tant de tempête ? Que l'université algérienne est en crise, car elle mise plus sur la quantité que la qualité de la formation et de la recherche avant d'aborder le cas particulier de l'université de M'sila. J'ai insisté en particulier sur les méthodes de gestion du recteur de cet établissement, méthodes qui se distinguent par des comportements dépourvus d'élégance, de pédagogie et de sérénité. J'y ai cité bon nombre d'exemples de ses comportements que nul ne peut démentir : visite inopinée du recteur aux amphis lors du déroulement des examens, toujours accompagnés d'agents de sécurité, cris et hurlement après les enseignants dont certains sont convoqués dans son bureau et sommés de « s'expliquer » ; menace et chantage de mise à pied exercés à l'encontre de certains d'entre eux, et j'en passe. Parallèlement à ces conduites contraires aux bienséances et au respect dû à la dignité des enseignants, s'ajoutent la gestion plus que laxiste du volet de la recherche (absence de revue, de laboratoires qui fonctionnent normalement, d'organisation de séminaires…), et achats onéreux d'outils scientifiques qui s'usent dans des coins de laboratoires, faute d'usage approprié… Et quelles sont donc les raisons par lesquelles le recteur a justifié sa décision ? C'est pour avoir signalé toutes ces anomalies dans mon article d'El Watan précité que le recteur s'est vexé. Le jour même de la parution de cet article, il me fit verbalement convoqué par le doyen de la faculté des sciences humaines pour m'expliquer. J'ai repoussé cette demande non motivée. Non content de ce refus de me présenter dans son bureau, le recteur demande alors à au doyen d'établir « un rapport » sur moi susceptible d'inclure une faute professionnelle. Mais ce dernier, manifestement conscient de l'illégalité d'une telle procédure, refusa d'obtempérer. Le 9 mai 2008, je suis convoqué par le doyen qui me fait lire la correspondance qui lui est parvenue du recteur me concernant. Il s'agit d'un questionnaire qui m'est adressé dont voici la teneur : « Suivant la correspondance n° 167/2008 en date du 9 juin 2008 provenant de la présidence de l'université (rectorat), nous vous prions de nous fournir des précisions relatives à vos propos diffamatoires parus dans les journaux, et qui comportent en outre des atteintes à l'image de l'université algérienne et celle de M'sila en particulier, et ceci dans un délais de 48heures après avoir accusé réception de ce questionnaire. » Ma réponse fut celle-ci : « Monsieur le recteur de l'université de M'sila par l'entremise de M. le doyen, Monsieur, j'ai l'honneur de répondre à votre courrier daté du 10 juin 2008 dans lequel M. le recteur me reproche de l'avoir calomnié et d'avoir entaché l'image de l'université algérienne et celle de M'sila. Je tiens à vous répondre que ce reproche n'a aucun fondement juridique, politique ou moral. Etant chercheur confirmé et reconnu au plan national et international, ma raison d'être est de conduire des travaux et des écritures ayant pour objet tous les sujets sociaux possibles, y compris sur la mauvaise gestion de certaines de nos institutions. Le droit à l'expression est garanti par la Constitution algérienne. En tant que citoyen, j'use pleinement de ce droit. Sur ce point, je n'ai de leçons à recevoir de personne. Veuillez, Monsieur le recteur et le doyen, agréer l'expression de ma haute considération. Je vous remercie, Monsieur le recteur de votre compréhension. » Non satisfait de cette réponse, le recteur décide de prendre deux mesures sans rapport l'une avec l'autre : plainte en justice pour diffamation contre moi et suspension immédiate de mon poste avec arrêt de mon traitement. Cette décision m'a été notifiée en bonne et due forme en date du 22 juin 2008. Comment qualifiez-vous la décision du recteur ? D'arbitraire et d'illogique. Elle est contraire non seulement au bon sens, mais elle est contraire aussi aux principes qui fondent notre droit constitutionnel en ce qu'elle viole ses dispositions relatives au droit d'expression et d'association. Elle crée un précédent dangereux, et une sorte de prime d'encouragement à l'arbitraire des gestionnaires de grandes institutions de l'Etat. De tels actes ne sont pas seulement préjudiciables au citoyen ordinaire que nous sommes, ils sont également préjudiciables au prestige de l'Etat, dont la crédibilité aux yeux du citoyen se mesure à l'aune du respect des normes et des lois qui régulent de manière pacifique les rapports sociaux. Un chef autoritaire ne crée pas la sécurité, mais contribue par son comportement contraire aux lois à l'insécurité de l'Etat. Tels sont mes sentiments profonds… Comment comptez-vous réagir à la décision du recteur ? Je m'en remets à la justice dont j'ai confiance pour trancher le litige de manière équitable. Votre message à la corporation des enseignants et chercheurs de l'université algérienne... Je dirai aux enseignants, à tous les enseignants, aussi bien « précaires » que solidement établis dans la « corporation » d'être solidaires, et surtout responsables et réfléchis ; d'avoir un esprit critique, intelligent et constructif ; de ne pas céder à la peur immotivée et de prendre leur responsabilité de citoyen dans les domaines des initiative positives au service de la nation et de l'Etat. Je dis à ceux d'entre eux qui préfèrent l'esprit courtisanesque comme pour se propulser à l'esprit d'autonomie intellectuel, à la critique scientifique, de renoncer à cette posture servile et opter pour une démarche digne et respectueuse d'eux-mêmes et de la science. Un intellectuel, qui a peur de son ombre et qui ignore que les lois de ce pays, si imparfaites qu'elles puissent paraître à première vue, sont une garantie contre l'injustice et l'arbitraire, n'est pas digne d'être qualifié de chercheur ou d'intellectuel…Tel est en substance mon message aux membres de cette corporation à présent ensommeillés…