Le conflit à caractère foncier, qui oppose depuis 1992 un groupe d'agriculteurs à Urban (Ex-Cadat), perdure encore sans que les deux belligérants donnent l'impression de vouloir renoncer à ce qu'ils qualifient, chacun selon sa position, de « plein droit ». Le motif est non des moindres, puisqu'il s'agit de quelque 300 h de terres irriguées situées en grande partie aux alentours de la zone pétrochimique de Skikda et de la zone de dépôt de Hammadi Krouma. Les agriculteurs concernés regroupés dans 4 exploitations agricoles collectives et individuelles (EAC) crient au scandale en alertant aussi bien les autorités locales que centrales. Ils dénoncent « l'agression caractérisée contre des terres à haut rendement qu'on a de tout temps oubliée et qu'on voudrait aujourd'hui vendre pour ériger dessus des hangars, des industries et des parcs ». Ils attestent qu'ils cultivaient ces terres bien avant l'avènement de la restructuration. « En 1963 déjà, nous entretenions ces terres. Ensuite et après l'avènement de la restructuration, nous avons bénéficié d'un acte d'exploitation en tant que EAC et EAI dans le cadre de la loi 87/19. » Jusque-là, tout allait pour le mieux et pas moins de 50 familles (plus de 400 personnes) subsistaient des récoltes de ces terres dont une grande partie est constituée d'agrumes. En 1992, le centre d'études et de réalisation urbaine (Urban Annaba) s'est manifesté avec armes et bagages et déclare vouloir récupérer son bien, c'est-à-dire les 300 ha dont il est l'exclusif propriétaire. Il engage alors une procédure judiciaire pour déloger les agriculteurs. La conjoncture sécuritaire qui caractérisa le pays à partir de cette année retardera les démarches d'Urban et confortera amplement les agriculteurs qui disent, « nous référons continuer à travailler nos terres malgré les menaces ». En 1993, un nouvel acte administratif est octroyé aux agriculteurs. Il serait, selon leurs déclarations « enregistré à la direction des Domaines ». Pour eux, c'est une preuve que les terres leur appartiennent. Mais Urban ne voit pas les choses sous le même angle. Mme Bousbaâ, représentante de Urban Skikda, déclare à cet effet que l'acte dont parlent les agriculteurs n'est qu'« un simple acte administratif qui a été annulé par la Cour suprême en 1995. Ce jugement constitue d'ailleurs l'épilogue d'un long enchaînement juridique ». Seulement, les agriculteurs, se considérant très lésés, refusent d'obtempérer. Au courant de la même année (1995), une circulaire ministérielle (05/95) relative à l'obligation de préserver les terres agricoles est venue presqu'à temps « conforter » les agriculteurs dans leur hargne à préserver leurs exploitations. Ces derniers iront jusqu'à interdire, et bruyamment, l'accès à leurs exploitations. L'un d'eux évoque même une tentative d'arrangement « Ils ont essayé de nous soudoyer en nous proposant des postes d'emploi, de l'argent et même des logements. Mais on a refusé ,et on refusera aussi longtemps que ces terres seront fertiles. Avant d'empiéter sur ces terres, il faudra d'abord passer par-dessus nos corps. » Ces terres, en plus de leurs caractéristiques purement agricoles, se présentent comme une continuité toute naturelle à l'assiette occupée par la zone pétrochimique. Donnant sur une route nationale et très proche de la ville de Skikda, elles forment une aire à forte prédisposition industrielle, d'où l'attrait qu'elles ne cessent de susciter aussi bien chez les investisseurs privés que chez des entreprises publiques. Urban, qui a vendu la majeure partie de ses terres au courant des années 1970/80, donne l'impression aujourd'hui de vouloir « regonfler ses caisses » en puisant de cette opportunité. Et c'est son droit. Les agriculteurs, eux, campent sur leur position et racontent qu'au début de l'année 2002, Urban avait tenté de bousculer les choses en ramenant tout un arsenal pour entamer quelques travaux sur ces terres avant de rencontrer une opposition farouche de la part des familles qui exploitent les EAC. Ces dernières avaient même sollicité à cette époque l'intervention du ministre de l'Agriculture. Dans une lettre expéditive, le ministre se contentera de leur conseiller de « prendre vos responsabilités et de tout mettre en œuvre pour préserver vos acquis, faute de quoi vos droits se verront annulés ».Aujourd'hui, le conflit prend une autre tournure et les deux parties exposent leurs arguments. Les agriculteurs continuent de manifester leur refus de voir leurs terres disparaître. « Cette terre nous a toujours nourris, et sans elle, on ne saura plus quoi faire. Pourquoi cherche-t-on à dilapider des dizaines d'hectares à haut rendement agricole ? Vous voyez ces vergers encore vivaces le long de la route, si on se laisse faire, ils disparaîtront à jamais du paysage local comme les centaines d'hectares qu'on avait sacrifiés durant les années 1970. » L'un d'eux témoigne qu'il y a juste quelques semaines : « Urban a vendu une parcelle à l'entreprise portuaire de Skikda pour déposer ses conteneurs et depuis, j'assiste impuissant au blocage de l'entrée de mon exploitation. Des cortèges de camions n'arrêtent plus depuis plus d'une semaine à entreposer du remblai devant le chemin menant aux terres que j'exploite. On est en train de m'asphyxier ». Pour Urban, on repose le problème dans un autre contexte. Mme Bousbaâ évoque à cet effet que « ces terres appartiennent à Urban, et ne croyez pas qu'on s'amuse à vendre ces terres sans se référer aux lois. Nous sommes en règle et nos procédures obéissent à ces mêmes lois. Nous ne pouvons vendre le moindre are sans avoir l'aval des services agricoles. Ce conflit continue de nuire à plusieurs investisseurs, puisque certains d'entre eux disposent d'un acte qui date de 1990. Ils se sont acquis de toutes leurs obligations financières, mais à ce jour et devant l'opposition des agriculteurs, ils ne parviennent pas à exploiter leurs acquis. Beaucoup d'autres investisseurs ont exprimé leur souhait d'acquérir des parcelles pour ériger plusieurs projets, mais on continue à s'estomper aux agriculteurs. » Au niveau de la direction des services agricoles ( DSA), le ton est beaucoup plus modéré. Le directeur, tout en reconnaissant la propriété d'Urban, « elle a été reconnue par la Cour suprême » a tenu aussi à mentionner que globalement, ces terres sont « à vocation agricole » en poursuivant que « l'objectif de nos services est de protéger ces terres et préserver leur vocation comme le stipule la loi » en se référant à la circulaire 05/95. Quant aux démarches engagées afin de solutionner ce problème qui aura trop duré, le DSA fera part d'une rencontre récente avec le PDG d'Urban en rapportant : « Nous présageons la solution d'indemniser Urban sur le fonds de la révolution agraire et de conforter les agriculteurs. Seulement, il nous reste aussi à cadastrer ces terres, afin de permettre à Urban d'exploiter les lots épars dont l'essence agricole serait insignifiante. »