Par une claire matinée d'été, il y a cinquante-deux ans, tombaient au champ d'honneur, les armes à la main, quatre patriotes qui présentaient la particularité d'être d'origine et de culture différentes, rassemblés par le noble idéal de l'indépendance et de la justice sociale. C'était le 5 juin 1956, au djebel Derragha,à une quinzaine de kilomètres au sud-est de Lamartine (El Karimia), au douar hostile des Beni Boudouane, administré par le bachagha Boualem, naturalisé Français, auxiliaire servile du pouvoir colonial. Belkacem Hannoun, Djillali Moussaoui, Maurice Laban, Henri Maillot et Abdelkader Zelmatt, ravitailleur du groupe, exécuté froidement après sa capture, ont arrosé de leur sang cette terre pour laquelle des milliers de jeunes, paysans, ouvriers, étudiants, lycéens sont morts pour ce qui nous fait vivre. Avec Abdelhamid Guerrab, ancien dirigeant de l'Association des étudiants musulmans d'Afrique du Nord (AEMAN), Mohamed Boualem et Mustapha Saâdoun, échappés miraculeusement à la mort, ils constituaient un détachement doté des armes prises à l'ennemi le 4 avril 1956 par Henri Maillot, aspirant de l'armée française, avant de rejoindre la lutte armée pour l'indépendance. Le groupe se trouvait dans cette zone difficile du versant nord de l'Ouarsenis, depuis quelques heures seulement. Il venait des Beni Rached où il avait procédé à l'élimination de quatre mouchards de l'administration coloniale. Pour semer la division et entretenir la confusion dans les rangs des moudjahidine, les services spéciaux très actifs du gouvernement français donnèrent à ce lieu le nom de « Maquis rouge », par allusion à l'ancienne affiliation politique de ses membres. Belkacem Hannoun, Djillali Moussaoui et Abdelkader Zermatt étaient des paysans sans terre, issus de familles spoliées par la conquête française. Pour gagner sa vie, Djillali Moussaoui travailla dans les fermes coloniales de Duperré (Aïn Defla actuellement). Il se battit avec ses camarades ouvriers agricoles pour de meilleures conditions de vie. Il dirigea les grèves lancées dès 1948, aux côtés de Ahmed Keddar, dirigeant estimé du PCA et dont la famille compte de nombreux martyrs. Belkacem le plus jeune du groupe Belkacem Hannoun, le benjamin du groupe, naquit le 6 Août 1936, au quartier déshérité de Sidi Boulahrouz, à l'entrée est de Cherchell, dans une famille démunie. Par manque de moyens, il se résigna à interrompe ses études secondaires. Il s'employa à la petite ferme voisine des Saâdoun, à Tizirine. Il connut Mahfoud Saâdoun, autre martyr. Ils diffusèrent ensemble l'hebdomadaire Liberté, organe central du PCA, au moment de la campagne menée contre l'enrôlement des jeunes paysans, pauvres et humiliés, des montagnes des Beni Menaceur, dans le corps expéditionnaire français d'Indochine. Belkacem Hannoun grandit dans le cercle des patriotes animé par Ali Bahria dit Briki, Ahmed Benaziza, M'hamed Benyamina, Berdjem, Amar Bouhandir, Boukhellil, Abdelkader et Amar Dehili, Amar Hachem, Imgras, Kada, Mohamed Lekfel, M'Hamed Mufti, Ould Mouloud, Hocine et Kaddour Saâdoun. Membre de l'Union de la jeunesse démocratique algérienne (UJDA), à l'époque où Henri Maillot était l'un des dirigeants, le jeune paysan de Cherchell, âgé de 17 ans, fit partie en 1953 de l'imposante délégation algérienne conduite par l'historien Mahfoud Kaddache et rehaussée par la participation de l'homme de théâtre, Mahieddine Bachtarzi, au Festival mondial de la jeunesse, à Bucarest, capitale de la Roumanie. Il y fit la connaissance de jeunes patriotes d'autres pays en lutte contre le colonialisme français, comme les Vietnamiens et les Malgaches. Les cinq martyrs de Djebel Derraga avaient l'âge de Larbi Ben M'hidi, Abane Ramdane, Maurice Audin, Imam Lyès, Taleb Abderrahmane, Oudaï Zoulikha et Raymonde Peschard. Ils sont morts au combat. L'histoire de l'Algérie est écrite de leur sang. Belkacem Hannoun, Maurice Laban, Djillali Loussaoui et Abdelkader Zelmatt sont enterrés au cimetière des martyrs, à El Karimia. Henri Maillot, dont les cendres ont été transférées en 1963 au cimetière européen d'El Mouradia, repose aux côtés de ses parents. Avec Abdelhamid Guerrab (décédé en août 1997), Mohamed Boualem, ancien docker et Mustapha Saâdoun, ancien maraîcher, les cinq martyrs partageaient la même foi : construire une Algérie heureuse, comme en parlait Larbi Ben M'hidi dans ses appels à la lutte.