Le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) est allé jusqu'au bout de sa logique en décidant de traduire devant sa juridiction le chef de l'Etat soudanais pour des faits d'une extrême gravité, puisqu'il est accusé de crimes de guerre, crimes contre l'humanité et génocide. Si ce mandat d'arrêt venait à être suivi d'effet, Omar El Bechir serait le troisième chef d'Etat à être poursuivi par la justice internationale, mais le premier en exercice. Ce fut d'abord l'ancien chef de l'Etat yougoslave, Slobodan Milosevic, mort d'ailleurs dans une prison du Tribunal pénal international (TPI) à la Haye, avant même la fin de son procès, et avant que les faits pour lesquels il était jugé soient clairement établis. Depuis peu, c'est l'ancien chef de l'Etat libérien, connu davantage comme un chef de guerre pour son implication présumée dans la guerre au Sierra Leone. Quant au président soudanais, il s'agit du conflit du Darfour où les appréciations ne sont pas univoques, puisque les données des uns ne sont pas celles des autres.Ce qui n'a pas empêché le magistrat argentin, Luis Moreno Ocampo, de réclamer aux juges de la CPI d'émettre un mandat d'arrêt contre le président Omar El Bachir pour « génocide » au Darfour (Soudan), une accusation immédiatement rejetée par Khartoum. « J'ai présenté aujourd'hui, aux juges des éléments de preuves qui démontrent que le président du Soudan, Omar Hassan Ahmad el Bechir, a commis des crimes de génocide, des crimes contre l'humanité et des crimes de guerre au Darfour », a indiqué le procureur argentin lors d'une conférence de presse à La Haye. « J'ai demandé à ce qu'ils délivrent un mandat d'arrêt contre lui », a-t-il ajouté. Le Soudan a rejeté dans la minute ces accusations et a menacé d'une « réaction » si l'affaire était portée devant les Nations unies. Il s'agit de la première demande d'arrestation d'un chef d'Etat en exercice devant la CPI, le seul tribunal permanent compétent pour juger les auteurs de crimes de guerre contre l'humanité et de génocide. Une décision des juges, basée sur la solidité des preuves apportées par M. Moreno Ocampo, devrait prendre plusieurs mois. « Dans les camps, les forces de M. El Bechir tuent les hommes et violent les femmes. Il veut mettre un point final à l'histoire des peuples four, masalit et zaghawa », a affirmé M. Moreno Ocampo, précisant qu'il accusait Omar El Bechir de trois chefs de génocide. Il « a utilisé l'armée » et « enrôlé des milices » pour commettre ce génocide, a détaillé le procureur de la CPI. « Ce qui se passe au Darfour est la conséquence de la volonté d'El Bechir. Le crime de génocide est un crime d'intention (...) nous allons le prouver, car cela met en danger la vie des gens habitant dans les camps », a-t-il précisé, en projetant des vidéos où des déplacés lors du conflit étaient interrogés. L'annonce intervient alors que le secrétaire général des Nations unies Ban Ki-moon se disait, hier, inquiet pour la force mixte ONU-Union africaine (Minuad) chargée du maintien de la paix au Darfour (ouest du Soudan) en cas d'accusations contre l'homme fort de Khartoum. « Cela aurait des répercussions négatives sérieuses sur l'opération de maintien de la paix, y compris le processus politique », a-t-il expliqué. Comme il en était logiquement attendu, le Soudan a rejeté la demande d'inculpation de son Président et a menacé d'une « réaction » si l'affaire était portée devant les Nations unies. « Maintenant, nous sommes contre la CPI et nous rejetons toute décision de la CPI », a affirmé le porte-parole du gouvernement, Kamal Obeid. « Si la CPI transmet l'affaire à l'ONU, alors nous aurons une nouvelle réaction », a-t-il ajouté sans plus de précisions. Quant à la Ligue arabe, déjà saisie du dossier depuis que le procureur de la CPI a dévoilé ses intentions, elle a annoncé qu'elle tiendrait une réunion d'urgence sur le Soudan samedi au niveau ministériel. « Il a été décidé qu'une réunion d'urgence des ministres arabes des Affaires étrangères se tiendrait samedi au siège de la Ligue au Caire », a affirmé à la presse le chef de cabinet du secrétaire général de la Ligue, Hicham Youssef. Une nouvelle bataille va s'engager que rien ne semble arrêter, sauf, bien entendu, une décision de la CPI, elle-même, qui peut ne pas accéder à la demande de son procureur.