Sous haute surveillance policière et militaire, les Egyptiens ont commencé à voter samedi sur le très controversé projet de loi fondamentale.Après deux semaines marquées par de nombreuses manifestations et de violents heurts entre opposants et partisans du président égyptien Mohamed Morsi, d'abord sur fond d'un décret qu'il a finalement retiré, puis du projet de Constitution bouclé à la hâte, près de la moitié des électeurs ont été appelés aux urnes ce 15 décembre pour approuver ou non cette Loi fondamentale. Les autres suivront samedi prochain. Un gage de stabilité ou de dérive autoritaire ? Selon ses promoteurs, le texte va offrir à l'Egypte un cadre institutionnel stable et démocratique. Il reflèterait le chemin parcouru depuis la chute de Hosni Moubarak début 2011. Selon ses détracteurs, de l'opposition laïque, de gauche et libérale, il ouvrirait au contraire la voie aux interprétations les plus rigoristes de l'islam et mettrait en péril les libertés individuelles. Et ce n'est pas leur seul grief contre ce texte adopté à la hâte par une commission largement dominée par les islamistes. "J'ai voté Morsi, mais c'était une grosse erreur. Cette Constitution est mauvaise, notamment parce qu'elle n'interdit pas le travail des enfants et ouvre la voie au mariage des mineures" explique par exemple Ali Mohamed Ali, un électeur au chômage, qui déplore par ailleurs que "les prix [aient] encore augmenté". De fait, alors qu'en juin, M. Morsi avait été élu d'une courte majorité et que le pays est enlisé dans une profonde crise économique, au-delà de la question posée, ce référendum pourrait aussi être l'occasion d'exprimer sa défiance vis-à-vis du pouvoir actuel. Ce ne sera pas le cas de Kassem Abdallah, un habitant du Mokattam un quartier populaire du Caire situé proche du siège des Frères musulmans, qui votera résolument "oui", estimant lui que "c'est une Constitution qui offre des droits et la stabilité". Il s'agit "que le pays revienne à la normale" affirme de même Ibrahi Mahmoud, un instituteur. A son contraire, un autre enseignant, Omar Abdel Kader, explique qu'il votera contre ce texte “qui ne représente pas tous les Egyptiens"... et qui accorde des pouvoirs démesurés au chef de l'Etat renchérit Nadia Chokri, 55 ans, qui ajoute en forme d'interrogation : "est-ce raisonnable de faire du président un dictateur ?" Les juges absents, les forces sécuritaires présentes en masse Comme ces Egyptiens, quelque 26 millions d'inscrits étaient donc appelés aux urnes ce samedi, soit la moitié des 51,3 millions d'électeurs. On a ainsi commencé à voter vers 8h locales au Caire, à Alexandrie, dans le Sinaï et au total dans 10 gouvernorats sur les 27 que compte le pays. Les autres voteront le 22 décembre, en vertu d'un découpage décidé in extremis par les autorités du fait de la fronde des magistrats, théoriquement en charge de superviser les opérations, mais qui pour beaucoup les boycottent. Avant même l'ouverture des bureaux de vote à 8h, l'affluence était manifeste au Caire et en province, au point que la consultation a été d'office prolongée de deux heures, jusqu'à 21h, a annoncé la commission électorale. Il y avait beaucoup de monde, mais l'ambiance n'était pas du tout à la fête des précédents scrutins de l'après-Moubarak. C'est que le pays est profondément divisé et a connu ces derniers jours des incidents meurtriers. Le 5 décembre, huit personnes avaient été tuées près du palais présidentiel, au Caire, dans des affrontements entre pro et anti Morsi, pro et anti constitution. Hier encore, à Alexandrie, quinze personnes ont été blessées dans des heurts entre manifestants des deux camps.En ce jour de vote, "nous arrêterons toute personne à l'origine d'émeutes", a mis en garde le porte-parole des forces de sécurité dans la deuxième ville du pays. La situation y était "calme" ce samedi matin, comme d'ailleurs dans le reste de l'Egypte. Il faut dire que le déploiement sécuritaire est massif, avec en renfort de 130.000 policiers, quelque 120.000 militaires mobilisés et autorisés à arrêter des civils jusqu'à la proclamation des résultats définitifs, à une date indéterminée. Un seuil symbolique : 60 % Quelle qu'elle soit, il n'est pas du tout dit que l'issue du scrutin apaisera la situation. En effet, pour le spécialiste de l'Egypte à l'International Crisis Group, Yasser El-Shimy, sans parler d'un éventuel rejet du projet de constitution, si le texte "est approuvé par moins de 60% des votants, il pourrait devenir le centre d'un futur conflit sur la validité du système politique qui en découlera". A l'inverse, "si plus de 60% votent oui, il sera très difficile pour l'opposition de dire qu'elle représente les aspirations du peuple égyptien".