ABIDJAN - Trois chefs d'Etat ouest africains ont retrouvé mardi à Abidjan Laurent Gbagbo pour le convaincre de céder le pouvoir à son rival Alassane Ouattara, et éloigner ainsi la menace d'une opération militaire des voisins de la Côte d'Ivoire. Arrivés peu avant 14H00 (locales et GMT) au palais présidentiel dans le quartier du Plateau, centre du pouvoir, Boni Yayi (Bénin), Ernest Koroma (Sierra Leone) et Pedro Pires (Cap-Vert) ont été accueillis par Laurent Gbagbo, qui a donné l'accolade à chacun avant de les faire entrer dans un salon, devant de nombreux journalistes. Les émissaires devaient plus tard dans l'après-midi s'entretenir avec Alassane Ouattara, reconnu président par la communauté internationale, dans le grand hôtel où il est retranché avec son gouvernement sous un blocus routier des forces pro-Gbagbo. Les trois dirigeants, arrivés séparément dans la matinée, ont eu auparavant un bref entretien avec Choï Young-jin, chef de l'Opération de l'ONU en Côte d'Ivoire (Onuci, 9.000 hommes), dont M. Gbagbo a exigé le départ car il la considère comme un soutien de son adversaire. Cette mission est un "dernier geste" après le sommet de la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cédéao) vendredi à Abuja, qui a menacé M. Gbagbo d'aller jusqu'à une opération militaire s'il ne cédait pas sa place de lui-même. Aucun des émissaires n'a fait de déclaration pour l'heure à Abidjan. Mais avant son départ de Praia, M. Pires a semblé prendre ses distances avec la ligne de la Cédéao. "Je ne vois pour le moment aucune tentative dans le sens de résoudre le conflit de manière durable. Au contraire, je constate que toutes les approches vont dans le sens unique de satisfaire des intérêts immédiats", a-t-il dit, sans plus de précision. Le camp Gbagbo a plaidé pour le dialogue mais prévenu qu'il y avait une ligne rouge à ne pas franchir: le respect de la souveraineté de la Côte d'Ivoire et de sa Constitution. Le Conseil constitutionnel ivoirien a proclamé Laurent Gbagbo élu à l'issue de la présidentielle du 28 novembre, invalidant les résultats de la Commission électorale indépendante qui venait d'annoncer la victoire d'Alassane Ouattara. M. Gbagbo, qui dit prendre "au sérieux" les menaces de la Cédéao, a dénoncé un "complot" de l'ex-puissance coloniale française et des Etats-Unis et mis en garde contre un risque de "guerre civile" en cas d'intervention militaire. Son camp a clairement laissé entendre qu'une opération armée de la Cédéao, accusée d'être manipulée par les Occidentaux, aurait des conséquences pour les millions de ressortissants ouest africains vivant en Côte d'Ivoire qui reste, malgré une crise politico-militaire de dix ans, une puissance économique régionale. La mission de la Cédéao intervient dans un climat de très haute tension en Côte d'Ivoire. Les violences post-électorales ont fait au moins 173 morts du 16 au 21 décembre, essentiellement des partisans de M. Ouattara, selon l'ONU, 53 morts depuis fin novembre, selon le camp Gbagbo, dont 14 membres des Forces de défense et de sécurité (FDS, loyales au sortant). Charles Blé Goudé, leader des "jeunes patriotes", fervents partisans de M. Gbagbo, mobilise ses militants depuis plus d'une semaine en vue d'un grand rassemblement mercredi à Abidjan pour défendre "la dignité et la souveraineté" de la Côte d'Ivoire. Le camp Ouattara, lui, a lancé un appel à la grève générale pour renforcer la pression sur le régime. S'il a eu peu d'écho lundi, mardi dans certains quartiers d'Abidjan comme dans la grande ville côtière de San Pedro (sud-ouest), premier port d'exportation du cacao au monde, les transports en commun (taxis, minicars...) étaient rares, voire inexistants. Les partisans de M. Ouattara mènent parallèlement une offensive à l'étranger. Ils ont occupé lundi pendant quelques heures l'ambassade de Côte d'Ivoire à Paris, l'une des plus importantes pour ce pays. En attendant l'arrivée d'un nouvel ambassadeur nommé par M. Ouattara, l'ambassade est fermée jusqu'à une date indéterminée.