Plus de deux millions d'Egyptiens se sont rassemblés mardi la place Tahrir (Libération) au centre du Caire pour la plus importante mobilisation en huit jours de contestation contre le président Hosni Moubarak qui a été symboliquement pendu. Les manifestants ont utilisé un mannequin représentant le président égyptien Moubarak qu'ils ont pendu. A la faveur du soutien de la toute-puissante armée, qui s'est engagée à ne pas tirer sur eux, hommes, femmes, enfants et vieillards ont manifesté pour exiger le départ de M. Moubarak qui semble s'accrocher au pouvoir en proposant un dialogue et des réformes aussitôt rejetés. Aucun incident violent n'a été enregistré lors des manifestations tenues à l'appel de l'opposition pour la "marche d'un million" au Caire et à Alexandrie contre leur président accusé de tous les maux: pauvreté, chômage, violation des libertés, corruption et verrouillage politique. Mohamed ElBaradei, la figure la plus en vue de l'opposition, a appelé M. Moubarak à partir "au plus tard vendredi", en se prononçant pour "une sortie honorable" du président, 82 ans, de plus en plus en difficulté. Face à l'épreuve de force persistante, les Etats-Unis sont entrés en contact avec les deux camps: un ex-diplomate américain Frank Wisner devait rencontrer au Caire de hauts dirigeants du régime, alors que l'ambassadrice des Etats-Unis Margaret Scobey s'est entretenue au téléphone avec M. ElBaradei qui a reçu en outre un appel téléphonique de l'ambassadeur britannique. Dans le même temps, ils ont ordonné le départ du personnel non essentiel de leur ambassade, alors que le mouvement de contestation, du jamais vu depuis 1981, même s'il continue de manière pacifique, a fait depuis le 25 janvier au moins 300 morts selon un bilan non confirmé de l'ONU, et des milliers de blessés. Dans le centre du Caire, la grande place Tahrir (place de la Libération), épicentre du mouvement, a été prise d'assaut par une marée humaine. L'atmosphère y était très festive, les manifestants, dansant et chantant en conspuant le président égyptien. Les passants applaudissaient à la vue de deux mannequins représentant M. Moubarak pendu, avec l'étoile de David sur sa cravate et des liasses de dollars dans les poches. "Je pense que les gouvernements, partout, doivent nous appuyer. Nous attendons qu'ils disent qu'il est parti, qu'il est dans l'avion. C'est notre rêve", dit l'une des manifestantes, Basma Mahmoud, 30 ans. L'armée a fermé le matin les accès à la capitale et à d'autres villes, et des hélicoptères ont survolé régulièrement le centre du Caire. Le trafic ferroviaire avait été interrompu pour empêcher un déferlement sur la capitale. A Alexandrie, deuxième ville du pays sur la Méditerranée, des centaines de milliers de personnes se sont rassemblées devant la mosquée Qaëd Ibrahim et la gare ferroviaire. A Suez (est), 15.000 personnes ont défilé, alors qu'elles étaient 40.000 à Mansoura, 5.000 à Tanta et 10.000 à Mahalla, dans le Delta. Quelques heures après l'entrée en vigueur du couvre-feu (13H00 GMT jusqu'à 06H00 GMT), la foule commençait à se disperser au Caire en bon ordre, sous le regard de l'armée. De même à Alexandrie, les gens commençaient à rentrer chez eux, alors que l'insécurité règne dans le pays en raison des pillards apparus aux premiers jours de la contestation après le retrait de la police. Celle-ci, haïe par les manifestants sur lesquels elle avait tiré, est réapparue lundi. Pour mobiliser les manifestants, les groupes issus de la société civile, soutenus par M. ElBaradei, une partie de l'opposition laïque et les Frères musulmans, force d'opposition la plus influente, ont compté sur le bouche à oreille, Internet restant bloqué et le service de messagerie mobile perturbé. L'annonce d'un nouveau gouvernement et la proposition du vice-président Omar Souleimane d'un dialogue avec l'opposition ont été rejetées par les manifestants et l'opposition, pour qui seul le départ de M. Moubarak viderait les rues d'Egypte. Après une semaine de protestations, les contrecoups économiques de la révolte se font sentir. Les touristes, l'une des principales sources de revenus pour l'Egypte, ont renoncé à venir, et les étrangers prennent la fuite. Banques et Bourse restent fermées, alors le carburant manquait et les Egyptiens faisaient leurs provisions. Après Moody's lundi, l'agence de notation Standard and Poor's a abaissé d'un cran la note de l'Egypte. Mais le Fonds monétaire international s'est dit prêt à aider l'Egypte. L'Unesco a lancé un appel à la sauvegarde du patrimoine de l'Egypte, réclamant des mesures pour protéger "les trésors" du pays. Craignant pour sa part un possible futur pouvoir en Egypte hostile à son pays, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a appelé la communauté internationale à "exiger" le respect du traité de paix égypto israélien.