LE CAIRE - Le président égyptien Hosni Moubarak semblait s'accrocher au pouvoir samedi, réunissant pour la première fois son nouveau cabinet au moment où des milliers de personnes continuaient pour le 12e jour consécutif à manifester pour réclamer son départ immédiat. Parallèlement, un terminal gazier a été la cible d'une attaque à l'explosif dans le Sinaï égyptien mais il n'était pas clair dans l'immédiat si ce sabotage était lié à la révolte populaire. Sur la place Tahrir, emblème de la contestation qui ne faiblit pas dans le centre du Caire, des milliers de manifestants ont scandé "va-t'en, va-t'en" à l'adresse de M. Moubarak, 82 ans, qui gouverne l'Egypte d'une main de fer depuis 29 ans. Mais M. Moubarak, appelé aussi par les Etats-Unis à s'effacer le plus rapidement possible, ne montrait aucun signe d'une volonté de démissionner. Il a ainsi réuni le Premier ministre Ahmad Chafic, qui avait exclu la veille une transition entre M. Moubarak et le vice-président Omar Souleimane, le ministre du Pétrole Sameh Fahmy, le chef de la Banque centrale Farouk Oqda et le ministre des Finances Samir Radwane. C'est la première fois qu'il le fait depuis le limogeage le 29 janvier du précédent cabinet sous la pression de la rue. Pour le chef du mouvement d'opposition Kefaya, Georges Ishaq, cette réunion "est une preuve qu'il (M. Moubarak) s'accroche à sa position et veut montrer au peuple qu'il est toujours là". Mais à l'étranger, des informations de presse faisaient état de plusieurs scénarios qui viseraient à assurer une sortie digne à M. Moubarak, après que le président américain Barack Obama a déclaré que "des discussions" s'étaient engagées sur la transition politique. Selon le New York Times, le nouveau vice-président égyptien Omar Souleimane et les chefs de l'armée examinent des hypothèses visant à limiter l'autorité de M. Moubarak. Parmi elles, il pourrait être suggéré à M. Moubarak d'aller habiter dans sa résidence de Charm el-Cheikh sur la mer Rouge, ou de partir pour l'une de ces cures médicales qu'il fait habituellement tous les ans en Allemagne, qui serait cette fois prolongée. M. Souleimane formerait alors un gouvernement de transition et lancerait un dialogue avec l'opposition en vue de réformes. Dans une interview à Der Spiegel, un porte-parole du mouvement d'opposition influent des Frères musulmans, Rachad Bayoumi, a affirmé que son groupe ne voulait pas que la contestation "soit présentée comme une révolution islamique". "C'est un soulèvement du peuple égyptien", a-t-il dit après un appel du numéro un iranien, Ali Khamenei, à un régime islamique en Egypte, le plus peuplé des pays arabes (80 millions d'habitants) et, jusqu'au début de la révolte le 15 janvier, l'un des plus stables. De son côté, l'opposant égyptien le plus en vue et prix Nobel de la Paix, Mohamed ElBaradei, a dit souhaiter discuter avec l'état-major afin d'organiser "une transition sans effusion de sang". Lui-même et le chef de la Ligue arabe Amr Moussa, très populaire dans son pays, n'ont pas exclu de se présenter à la succession de M. Moubarak. Au Caire, des milliers de manifestants ont passé une nouvelle nuit sur la place Tahrir, certains dans des tentes, d'autres à même le sol, malgré le couvre-feu, après une journée marquée par des manifestations de centaines de milliers de personnes à travers le pays. Au petit matin, des dizaines d'entre eux ont cherché à empêcher des chars de l'armée de quitter la place, de crainte que des militants pro-Moubarak ne viennent s'en prendre à eux. Quand ils ont entendu rugir les moteurs, ils se sont précipités pour s'asseoir autour des engins en suppliant les militaires de rester. "Nous restons là pour empêcher l'armée de détruire nos barricades. Ils disent vouloir ouvrir les accès de la place et des bâtiments officiels à partir de demain. Mais en fait, ce qu'ils veulent c'est ouvrir le passage aux bandits de Moubarak pour nous attaquer", estime Mohamad Gamal, 24 ans. Sur une banderole géante, les manifestants exposent leurs revendications: départ du président, dissolution du Parlement, mise en place d'un gouvernement de transition et levée de l'état d'urgence en vigueur depuis 1981. Depuis jeudi, les manifestations se déroulent dans le calme. Des affrontements entre policiers et manifestants antigouvernementaux durant les premiers jours de la contestation, puis entre militants pro- et anti-Moubarak mercredi, ont fait environ 300 morts et des milliers de blessés, selon l'ONU. De Munich, en Allemagne, la secrétaire d'Etat américaine Hillary Clinton a salué la "retenue" des autorités égyptiennes vendredi. Mais elle a aussi prévenu que la marche vers la démocratie au Moyen-Orient, qu'elle a soutenue, présentait des "risques de chaos", jugeant que la conjoncture y était "parfaite" pour une "tempête". Face à la situation instable, la Bourse du Caire, fermée depuis le 30 janvier, ne rouvrira pas lundi comme prévu. Enfin, dans le Sinaï (nord), un gazoduc approvisionnant la Jordanie a été légèrement endommagé après une attaque. Le gazoduc achemine également le gaz vers Israël mais cette section n'a pas été touchée. Les livraisons de gaz vers les deux pays ont été néanmoins momentanément interrompues.