Dans son style médiatique connu, le jeune patron de Facebook a sonné la cloche de Wall Street le vendredi 18 mai, pour annoncer, comme convenu, les premières mises sur le marché des titres de son entreprise, immédiatement jugée « très timides » par les observateurs, à l'image de cette interrogation en titre d'un magazine en ligne spécialisé « Pourquoi le titre Facebook a fait pschitt, vendredi, lors de son premier jour de cotation ? » Facebook avait d'abord choisi une fourchette comprise entre 28 et 35 dollars. Face à l'engouement, elle a été relevée de 34 à 38 dollars, et Facebook a finalement opté pour la valeur la plus élevée, limitant ainsi le potentiel de hausse. Avec une valorisation de 100 milliards de dollars pour 1 milliard de bénéfices en 2011, Facebook possède un rapport capitalisation / bénéfices de 100, contre 19 à Google et 14 à Apple. D'où l'action Facebook est 5 fois plus « chère » que celle de Google et 7 fois plus que celle d'Apple. Et c'est justement sur cette véritable démonstration de force que les analyses se sont focalisées. C'est précisément ce type de mise en perspective qui pose problème. Certes, dans un premier temps, l'agence Reuters déclarait que la demande des investisseurs était supérieure au nombre d'actions disponibles. Mais quelques heures plus tard, l'agence Bloomberg démentait, s'appuyant sur un sondage réalisé quand les supputations au sujet du cours de l'action étaient encore bien inférieures au prix finalement fixé de 38 dollars et où 79 % des personnes consultées estimaient que cette valorisation était démesurée au regard des perspectives de croissance du réseau social. Tous les professionnels du secteur ont en mémoire Groupon qui a perdu 38 % lors de son introduction et LinkedIn qui, en un an, a pris 133 %. Le calcul des estimations boursières fait par Facebook est simple, comme le décrit un expert financier : « Pour justifier du fait que Facebook, qui a réalisé 3,7 milliards de dollars de chiffre d'affaires en 2011 et 1 milliard de bénéfices, vaut 100 milliards de dollars (plus de 100 fois les bénéfices attendus cette année), il faut considérer que l'entreprise réalisera de l'ordre de 100 milliards de chiffre d'affaires dans 10 ans. » Ce dont pourrait douter beaucoup d'analystes au regard des nombreux défis que Facebook devra relever. A commencer par le rythme de croissance qui ne montre plus la même vigueur, même si le nombre d'utilisateurs ne cesse de croître. Il atteint désormais 900 millions. Mais cela n'empêche pas le chiffre d'affaires du premier trimestre de reculer de 6% par rapport au trimestre précédent, à 1,06 milliard de dollars. Un effet saisonnier, selon Facebook. De fait, le dernier trimestre de l'année est souvent le plus favorable en matière de publicité. Mais le bénéfice net baisse plus fortement, de 10 %, à 205 millions de dollars. Et la saisonnalité ne suffit pas à expliquer ces reculs. Les analyses s'interrogent en effet sur la nouvelle phase de croissance du réseau social qui doit désormais conquérir des pays en développement où le marché publicitaire est beaucoup moins favorable qu'en Europe et, a fortiori, qu'aux Etats-Unis. Ce qui se traduit par une baisse du chiffre d'affaires moyen par utilisateur de 12% à 1,21 dollar au premier trimestre contre 1,38 dollar au cours des trois mois précédents. De quoi remettre en cause le rythme de croissance formidable enregistré jusqu'à présent. Et ce, même si Facebook affiche l'objectif de conquérir les 2 milliards d'internautes de la planète. Car entretemps, les analystes relèvent que « les coûts opérationnels sont passés en un an de 47 à 66 % du chiffre d'affaires. Et que Facebook reconnaît qu'il va poursuivre ses investissements. » Des coûts dus à des recrutements importants ainsi qu'à des investissements sur des réseaux de serveurs qu'il veut sécuriser car pouvant être son talon d'Achille. Facebook est par ailleurs censé avoir trouvé la juste stratégie pour le mobile que beaucoup d'observateurs prédisent comme déterminant pour son avenir. Et le réseau en est tellement conscient qu'il n'a pas hésité à débourser 1 milliard de dollars, dont 300 millions en cash et le reste en actions, pour acquérir l'application de partage de photos sur mobile Instagram. Facebook enregistre d'ailleurs une forte hausse de ses utilisateurs mobiles : 488 millions fin mars, soit une hausse de 69 % sur un an. Il y en a même 83 millions qui n'utilisent que leur téléphone portable. Problème, pour l'instant, ces connexions mobiles ne rapportent rien faute d'insertion de publicité dans les applis ou la version mobile du site. Facebook a donc besoin de développer un moyen de gagner de l'argent à partir du nombre croissant de ses utilisateurs (plus de 50 % selon plusieurs études), qui accèdent au réseau social avec ce genre d'appareils. Cependant, ce virage semble, de l'avis de beaucoup d'analystes, long à prendre et pas si facile à négocier pour qu'il soit rémunérateur, sans compter que l'application mobile a mis un certain temps à voir le jour. Certaines pistes, comme un magasin d'applications payantes ou encore les mises à jour de statut... payantes elles aussi, sont déjà en cours d'exploration. D'où donc un modèle économique à trouver sur ce support appelé à connaître la plus forte croissance... L'autre problématique que Facebook aura à aborder, est celle de la propriété intellectuelle. Confronté à des procès concernant de nombreuses technologies internet et mobiles, Facebook a procédé récemment à des achats massifs de brevets. Avec notamment plus de 550 millions de dollars payés à Microsoft pour le rachat de 650 brevets. Lesquels viennent s'ajouter aux 750 achetés à IBM en mars dernier. Mais Facebook n'a pas le choix, à quelques semaines de son entrée en Bourse. Attaqué en justice par Yahoo pour infraction à la propriété intellectuelle sur 10 brevets, il a riposté en attaquant à son tour le portail internet. Mais il a dû publier un communiqué en avouant qu'une victoire de Yahoo aurait "un impact important sur ses résultats". Une incertitude que les investisseurs invités à acheter des actions du réseau social risquent de ne pas apprécier, tant que les dirigeants de Facebook n'ont pas donné de réponse claire à cette problématique. Ceci étant, les responsables de Facebook doivent certainement avoir pris les devants pour assumer les enjeux de l'entrée en Bourse de leur société. Le site a déjà réussi à séduire 901 millions de membres : un internaute sur deux consulte le site au moins une fois par mois. Plus de 526 millions y accèdent chaque jour. Mais le service ne se contente pas de mettre en relation les personnes. Il les relie aussi à leurs goûts musicaux, à leurs loisirs, à leurs centres d'intérêts. D'un trombinoscope en ligne, Facebook est ainsi devenu l'identité numérique de près d'un milliard de personnes, portrait évolutif de l'activité sociale de ses utilisateurs. Une mine d'or de données que Facebook tente de vendre aux annonceurs. Sur les murs de ses locaux, Facebook rappelle à ses employés que seul « 1 % du voyage a été fait ». Le site doit encore conquérir la Chine, où l'accès à Facebook est bloqué, maîtriser l'univers du mobile et trouver les sources de revenus les plus rentables. C'est, in fine, ce pari sur l'avenir que Facebook met en bourse !