Les dernières sorties du géant de la recherche sur le net sur son fameux Google Art Project ressuscitent le débat, notamment, sur le rapport entre les nouvelles technologies et l'art. L'avènement des concepts de l'industrie culturelle, de la culture de masse et des mass media est le fruit de l'échange entre courants de pensées divergents mais soucieux de bien analyser le rapport entre l'œuvre artistique et sa diffusion par des procédés techniques, selon des normes de rationalité et des standards destinés à lui assurer « une consommation de masse ». Bien après, l'apparition des technologies multimédia apporteront un autre lot de questionnements sur les modifications des rapports entre l'utilisateur et l'œuvre artistique. La dernière déclinaison du nouveau service de Google ne s'inscrit pas moins dans cette problématique du rapport entre le multimédia et les œuvres culturelles. Il s'agit du World Wonders Project, qui permet aux internautes de visiter virtuellement de nombreux sites depuis un ordinateur, sur le modèle de Street View. Au total, ce sont plus de 130 endroits d'exception qui sont accessibles depuis le site du WWP, tel que le centre historique de Lyon, le château de Versailles ou la célèbre route 66 des Etats-Unis. Une façon pour la firme de contribuer à la mise en valeur du patrimoine mondial, tout en séduisant de nouveaux utilisateurs. Concrètement, le site du WWP propose d'effectuer la visite virtuelle d'un site en opérant un choix par zone géographique ou par thème (merveilles de la nature, palais et châteaux, sites archéologiques,...). Une fois le site sélectionné, il suffit de se déplacer à sa guise sur le lieu, sans être limité aux seules routes comme dans Street View. Une numérisation de l'endroit sur 360° permet d'avoir l'impression de se balader sur place. « Vous pouvez désormais découvrir les merveilles du monde depuis votre fauteuil, comme si vous y étiez », annonce fièrement la firme de Mountain View. Google propose aussi aux utilisateurs de WWP d'avoir un complément d'information sur chaque site, qui lui a été en partie fourni grâce à ses partenariats avec l'Unesco et le World Monuments Fund. Une nouvelle version qui s'appuie sur le partenariat de six musées français, parmi les 151 acteurs dans le monde, contre 17 l'an passé. En France, Google compte déjà sur la collaboration du musée de l'Orangerie, du musée du quai Branly, du musée d'Orsay, du château de Fontainebleau et de ceux de Versailles et de Chantilly. Des noms prestigieux qui devraient susciter la collaboration de grands absents comme le Musée du Louvre (le musée a fait état d'un problème d'emploi du temps). Chaque musée a choisi une œuvre dans sa collection qui a été numérisée en très haute définition (7 milliards de pixels) afin de permettre l'observation de détails difficilement visibles à l'œil nu ou sur une photographie classique. « Nous espérons que cela va inciter toujours plus de gens, où qu'ils vivent, à accéder à l'art et à l'explorer avec un luxe de détails nouveau », a commenté le vice-président de l'ingénierie chez Google, Nelson Mattos. Le service met également en avant une partie « enseignement », qui se revendique comme une « plateforme de ressources pédagogiques en ligne ». En pratique, Google propose aux enseignants différents outils, qui se complètent avec l'interface de visite virtuelle des sites. Un guide et des sujets adaptés à leurs classes de collège ou de lycée sont mis à disposition gratuitement. La firme de Mountain View vante ainsi ses différents supports pédagogiques, qui permettent selon elle d'« enseigner de manière innovante l'histoire et la géographie ». S'inscrivant dans la même lignée, dont une nouvelle version a été dévoilée il y a quelques mois, le géant de l'internet diversifie une fois de plus sa gamme de services, tout en affichant sa volonté de « démocratiser la culture en ligne ». La nouvelle version d'Art Project propose désormais 30 000 œuvres en haute résolution, contre 1000 œuvres dans la version initiale. L'internaute peut ainsi explorer peintures, sculptures, photos, etc. à portée de clics. 46 œuvres sont même visibles en « gigapixels » sur le site, dont la Naissance de Venus de Botticelli, la Nuit Etoilée de Van Gogh ou Les moissonneurs de Pieter Brugel l'ancien. Etc. « Chacune de ces images contient environ 7 milliards de pixels, ce qui permet à l'utilisateur d'Art Project d'étudier les détails du travail au pinceau et de la patine bien au-delà de ce qui est visible à l'œil nu. Les détails difficiles à voir deviennent soudain clairs, par exemple les petits personnages travaillant à la difficile construction de La Tour de Babel de Bruegel, les symboles très travaillés de la Pierre du Soleil au Mexique ou encore l'extrême minutie du chef-d'œuvre pointilliste, Un dimanche après-midi à l'île de la Grande Jatte de Seurat. » Des œuvres qu'on peut découvrir également en « vue visiteur ». Google a en effet importé sa technologie Street View dans une sélection de musées pour offrir une vue immersive. On peut alors se promener virtuellement dans certaines salles, comme sur Google Maps. En outre, l'utilisateur peut également sélectionner des vues d'œuvres pour les afficher dans une rubrique dédiée (« Mes galeries »), qu'on peut ensuite agrémenter de commentaires et vidéos. Le tout peut ensuite être partagé. Google « peut aider la culture locale », a expliqué l'un des porte-paroles de Mountain View en présentation de ce projet à Paris. Une démarche qui veut trancher avec les critiques adressées à cet acteur du web. Reuters rappelle ainsi que l'ex-président français « Nicolas Sarkozy (...) reprochait à Google, il y a peu, de ne considérer la France que comme un patrimoine à piller et un réservoir de millions de clients, tout en n'y payant pratiquement pas d'impôts ». L'ex-président français n'était pas, en fait, le seul à avoir un regard critique sur la démarche de Google. Dans une contribution libre, mise en ligne par une membre de l'association Wikimedia, pour le libre partage de la connaissance, de nombreux points de l'initiative de Google sont mis à l'index. D'abord, explique-t-elle, au plan technique « la qualité n'est pas toujours là. Vous pouvez en effet vous promener dans le musée, mais ne comptez pas forcément pouvoir regarder chaque œuvre en détail. On est dans de la visite « lointaine », un zoom sur une œuvre donnera quelque chose de totalement flou. » Beaucoup plus intéressant, l'analyse critique pointe du doigt « une jolie couche de droits sur les œuvres qui sont intégrées dans ces visites virtuelles. » Une part énorme de ces œuvres est dans le domaine public. Pourtant, les conditions générales du site Google Art Project sont très claires : cliquez sur le « Learn more » sur la page d'accueil. Vous verrez deux vidéos expliquant le fonctionnement du service, puis en descendant, une FAQ. Et cette FAQ est très claire : on y lit que les photos en haute résolution des œuvres d'art sont la propriété des musées et qu'elles sont protégées par le « copyright » partout dans le monde. Les images prises avec la technologie « Street View » sont la propriété de Google. Les images sont fournies dans le seul but de nous faire profiter du Google Art Projetc. Et on nous renvoie vers les conditions générales de Google. En gros, résume-t-elle, « vous ne pouvez rien faire de ce service. Vous pouvez regarder, mais pas toucher », avant de noter l'éternel piège Google qui vous oblige à passer par un compte personnel Google ou affilié, en échange de données personnelles bien utiles pour lui, pour pouvoir bénéficier de ses services. D'autre part, la contribution critique de cette membre fait part d'une inquiétude liée à la politique de musées qui pourraient rebondir sur cette opportunité pour retreindre la liberté d'accès aux chefs d'œuvres artistiques tombés dans le domaine public. « Ma crainte, écrit-elle, est que ces musées qui commencent timidement à ouvrir leurs portes et se lancent avec nous en faisant confiance, en prenant le pari de la diffusion libre de contenus dans le domaine public, se replient sur une solution verrouillée comme celle proposée par Google Art Project, où l'internaute ne peut absolument pas réutiliser les œuvres ainsi montrées. On visite, on ne touche pas. On ne s'approprie pas. On est spectateur, et c'est tout. Je crains que par envie de contrôle de l'utilisation des reproductions d'œuvres conservées dans les musées, la notion de domaine public recule. »