Consécration Ce sont de jeunes démunis des quartiers pauvres de l?Algérois, que la détresse unit faisant d?eux de vrais chanteurs. Rabah, Karim, Redouane et Salah habitent à Bab El-oued, quartier populaire où ils ont grandi. Ils partent presque quotidiennement à Riadh El-Feth, lieu qu?ils appellent communément «Arica», là, dans cette vaste nature, ils peuvent danser et chanter librement pendant des heures, exprimant leur colère et leur solitude. Le Break ou Capuerra, cette danse était jadis celle des esclaves noirs emprisonnés, elle est ainsi l?expression d?un appel à la libération et au combat. Proche du rap, mais beaucoup plus expressive et souple, c?est une forme d?acrobaties et de sauts. Le corps tourbillonne, se love sur le sol, les danseurs sont comme magnétisés et électrisés par les mouvements. «Nous n?avons rien à faire dans le quartier. On ne veut ni toucher à la drogue ni être des voyous. Danser pour sauver et crier notre propre mal vie», déclare Karim, le chef de bande. Ils racontent tous la même souffrance. L?absence de communication avec les parents et le vide qui les engloutit. Manque d?activité culturelle et sportive et absence quasi totale d?associations de jeunesse. Pour ne pas sombrer dans la drogue et tomber entre les griffes des malfrats, ils chantent et dansent, se confondant avec cette nature sépulcrale. «Mon père me réprimande sans arrêt. Rien ne lui plaît, mes habits, ma coupe de cheveux et cette danse qu?il qualifie de connerie. Il me dit aussi que je danse trop et que je bouffe sans travailler. Il me considère comme un moins que rien», confie Redouane, le petit blond du groupe. C?est le plus jeune de la bande, il a tout juste 17 ans et il arrive «miraculeusement» à faire «danser» ses lèvres, ses oreilles et ses yeux sans bouger. Ils parlent du chômage, de l?oisiveté et du manque d?écoute. Jeunesse prostrée qui recherche désespérément une consolation et un remède à sa douleur. «Nous dansons à même le sol et nous n?avons aucune protection. Si on tombe, ou que l?on se casse le nez ou le bras tant pis, on n?a aucune garantie», affirme Salah. Un de leur ami a été blessé la semaine dernière au niveau de la bouche, en tentant de ramasser une cigarette du sol du bout des lèvres tout en gardant les jambes en l?air. Heureusement que la plaie n?était pas profonde sinon il aurait eu une bouche déformée pour la vie. Des écrits sur les murs des cités, des paroles dénonçant la hogra, parfois des injures contre un monde qui les rejette avec force. La misère, la drogue et la solitude, les problèmes de leur jeunesse ne trouvent d?écho que dans la chanson et la danse. «Injustice, pourquoi autant de cruauté dans vos c?urs, tant de haine et de douleur. N?y a-t-il pas une place pour le bien et la douceur, la joie et l?amour. Rejet, oubli, solitude et drogue, notre jeunesse se résume en ces quelques mots, recherche permanente du bonheur, une illusion qui guide nos pas vers le malheur. On se drogue pour oublier qu?ici, en Algérie, on n?a pas de statut». Ce sont-là quelques mots de Karim, les bribes d?une nouvelle chanson, écrite en arabe dialectal, il parle de la douleur et de la mal vie. «On souffre et l?on meurt lentement. J?écris pour sentir ma vie et laisser sortir cette douleur qui peut vous rendre fou», dit-il. Rares sont les occasions où ils sont invités à se produire et à monter sur scène afin de laisser parler, à travers eux, une jeunesse qui étouffe. «Certains groupes sont prioritaires, ils sont mieux considérés que nous. Ce n?est pas une question de talent? Ils sont invités partout, à tous les galas, alors qu?ils sont nuls. C?est de la ségrégation!C?est injuste !», affirment nos jeunes artistes.