La date du 8 mai 1945 est encore fraîche dans les mémoires, pour se rappeler les assassinats, les mutilations et les exécutions sommaires de milliers d'Algériens désarmés, particulièrement dans l'est du pays ; là même où des citoyens furent précipités du haut des falaises. Ces atrocités inqualifiables ont durement affecté les populations et Oumeri, qui s'engagea depuis dans la désobéissance civile. Après de vaines tentatives de le capturer, l'administration coloniale eut recours à un procédé qui en dit long sur ses connaissances des mœurs kabyles ; et ce n'est pas le colonel Hanoteau du canton militaire de Draâ El Mizan et Letourneux qui nous contrediront. Eux qui avaient consacré une œuvre scientifique à la Kabylie, l'autre stratégie de la colonisation. C'est ainsi que fut décidée l'arrestation de son ami d'enfance en prenant soin de ne pas éveiller les soupçons. Dans le plus grand secret, il fut emmené à la prison de Tizi-Ouzou où on lui « inocula le virus du doute ». Sans heurts ni violences, l'ennemi lui mit en tête qu'Oumeri avait abusé de son épouse. Offusqué, le prisonnier de luxe tomba dans le piège et jura de venger son honneur. En passant à l'acte, Ali puisque c'est de lui qu'il s'agit, a été boudé, de facto, par son propre clan et s'attira de réelles menaces de mort de la famille d'Oumeri, de nouveau, unie par ce drame. Il faut dire qu'elle ne comprit, peut-être pas, ou en tout cas n'adhéra point à ses agissements, d'autant que ses parents furent menacés d'emprisonnement s'ils ne le reniaient pas. Avec la bénédiction de l'assemblée du village, le frère d'Oumeri se lança à la recherche du fuyard qui gagna Alger puis la France. Durant sa brève vie de justicier, Ahmed Oumeri se mit au service des humbles et des opprimés. Si au départ, des lettres de menaces furent rédigés à l'encontre des riches et des conseillers municipaux, les enjoignant de verser de fortes sommes d'argent, pour activité illicite, sous peine de mort. Le zèle et l'abus d'autorité des gardes champêtres et des caïds vis-à-vis de leurs administrés, poussèrent Oumeri et ses compagnons à aborder et assaillir directement ces serviles valets de l'administration coloniale. Non seulement, ils furent délestés de leur argent, mais ils durent subir des châtiments corporels. Les paysans, heureux bénéficiaires de cette moisson de billets, furent doublement satisfaits puisque tous ces assoiffés du pouvoir et de la fortune reconsidéraient leur comportement et étouffaient leur arrogance. C'est vers 1938 qu'Oumeri fut appelé « sous les drapeaux ». Endossant l'uniforme de tirailleur, il intégra le cantonnement de Tizi-Ouzou pendant un mois durant lequel on lui enseigna la discipline militaire, avant d'être affecté au 5e régiment des tirailleurs algériens stationné à Maison-Carrée (El-Harrach). A la déclaration de la Seconde Guerre mondiale, il prit part avec les divisions de choc africain, au conflit opposant la France et l'Allemagne. N'ayant pu venir au bout des nazis, la coalition franco-britannique battit en retraite, au Royaume Uni. Ce fut le moment que choisira Oumeri pour déserter prenant ses distances avec une guerre qui ne le concernait point. Il regagna le pays après une escale à Barbès, qui lui valut d'être recherché par la police, en compagnie de son ami Hadj Ali, qui s'était rendu coupable d'un acte, pour le moins insolite. A la place d'un film qu'ils devaient voir ensemble, nos deux cinéphiles d'un jour furent conviés à un documentaire traitant des Nord-Africains. Vraisemblablement outrés par la désinformation, Hadj Ali fit feu sur l'image du policier en plein écran, causant, sans nul doute, une panique générale. Le retour de l'enfant prodige au village qui l'a vu naître, fut accueilli dans l'allégresse générale. Au fur et à mesure que les mois passaient, Oumeri assistait à la détérioration de la condition de son peuple dans ce monde contraire à ses rêves. Epris de justice et de liberté, il ne pouvait et ne devait rester impassible. C'est ainsi qu'il entra dans la clandestinité, en formant avec Hadj Ali le groupe des cinq. Avec le concours des forêts et du Djurdjura, l'effet surprise qui consista à frapper et disparaître sera leur devise. Les paysans qui les hébergèrent verront et entendront pour eux... Rabah Douik Tiré de « Oumeri » de Tahar Oussedik, éditions Laphomic, 1982