A peine le verdict tombé, la semaine écoulée, que le groupe sud-coréen laissait entendre clairement qu'il ne se laissera pas faire. Après la victoire remportée par Apple dans un procès géant en Californie, le groupe Samsung a annoncé son intention de déposer un recours contre la décision du tribunal américain qui le condamne à verser plus d'un milliard de dollars pour des violations de brevets liés aux populaires iPad et iPhone. « Les consommateurs sont les perdants » du procès, a déploré Samsung dans un communiqué. Le jugement « va conduire à moins de choix, moins d'innovation, et potentiellement des prix plus élevés », a-t-il averti, regrettant « que la législation sur les brevets soit manipulée pour donner à un groupe un monopole sur les rectangles avec des coins arrondis ». Samsung a immédiatement prévenu que ce n'était « pas le mot de la fin », ni dans cette affaire, ni dans les batailles livrées devant d'autres tribunaux dans le monde. « Nous allons immédiatement déposer une requête pour obtenir le renversement de la décision du tribunal et, si nous n'obtenons pas gain de cause, nous ferons appel », indique dans un communiqué la firme sud-coréenne. Apple accuse Samsung d'avoir enfreint des brevets qui protègent notamment la forme de l'iPhone et de l'iPad. L'infraction porterait sur une dizaine de mobiles et de tablettes de Samsung, certains smartphones de la famille Galaxy S et la tablette Galaxy Tab 10.1. Le brevet d'Apple le plus menaçant a été cosigné par Steve Jobs en 2005. Il couvre le design d'une tablette dotée de coins arrondis et a déjà conduit à l'interdiction temporaire de la Galaxy Tab aux Etats-Unis, fin juin, dans l'attente de ce procès. Apple a été moins chanceux avec les brevets de l'iPhone. De son côté, Samsung accuse son concurrent de s'être inspiré des travaux de Sony pour concevoir l'iPhone. Il estime aussi qu'Apple « n'aurait pas pu vendre un seul iPhone » sans l'aide de technologies essentielles pour la 3G, qu'il a inventées et brevetées. Plus de 50 plaintes ont été déposées en Allemagne, en Australie, en Corée du Sud, en Espagne, aux Etats-Unis, en France, au Royaume-Uni, au Japon... Plusieurs procédures sont souvent instruites dans chaque pays. Aux Etats-Unis, Apple a engagé une autre action contre le Galaxy Nexus, le smartphone conçu par Samsung et Google. Un deuxième procès est programmé en mars 2014, en Californie. Après quatre semaines de procès et trois jours de délibéré, le tribunal californien a condamné le groupe Samsung à verser un milliard de dollars d'amende à Apple. La décision unanime des neuf jurés de San Jose (Californie) proclame que le sud-coréen a violé six brevets qui couvrent le logiciel (donc les fonctions) mais aussi l'apparence des iPhone. Elle affirme la validité des brevets du géant californien et assure qu'aucun des brevets de Samsung n'a été violé par son rival. L'amende de 1 milliard de dollars pourrait être triplée par le juge Lucy Koh, puisque les jurés ont estimé que Samsung a délibérément copié les idées et produits d'Apple. Samsung a perdu une bataille mais pas la guerre. C'est le message offensif affiché par le groupe sud-coréen à l'annonce de sa cinglante défaite face à Apple au tribunal de San Jose. Le conglomérat familial géant n'a pas dit son « dernier mot » et prépare la riposte juridique en Californie et aux quatre coins du monde. Il conteste le jugement rendu par les neufs jurés américains et fera appel si jamais le verdict était confirmé. Le jury populaire qui a lourdement condamné Samsung pour avoir copié son rival californien a vite été vu comme « trop pro-Apple et pro-américain » ? Le président du jury, un ingénieur à la retraite, Velvin Hogan, s'est chargé d'expliquer auprès des médias en détail les délibérations et de justifier la sanction. Interviewé par plusieurs journaux, l'homme de 67 ans, qui a derrière lui 35 ans de carrière dans les disques durs et un brevet à son nom, défend point par point les conclusions du jury. Pour ce qui est du biais pro-Apple, alors que le tribunal de San Jose, en Californie, se situe à 15 kilomètres du siège de Cupertino de la firme Apple, Velvin Hogan a rappelé que « personne ne possédait d'iPhone dans le jury », composé de sept hommes et deux femmes, dont outre le président, un ancien technicien aéronautique de la Navy, un gérant de magasin de cycles, une femme au foyer, un jeune de 24 ans sans emploi, un agent d'assurance, un gestionnaire de paie, un ouvrier du BTP, un chargé de projet chez l'opérateur AT&T.... « Moi je suis PC, je n'ai aucun appareil de chez Apple. Ma femme a un Samsung, mais ce n'est pas un smartphone », a-t-il objecté. Selon des experts juridiques, la condamnation de Samsung n'a pas beaucoup de chances de tenir en appel : les neuf jurés à l'origine du jugement auraient commis d'importantes erreurs, trop pressés d'en finir avec ce procès fleuve. Une situation qui pourrait aider la firme sud-coréenne à faire annuler la décision de justice. Le site juridique américain Groklaw, qui a examiné les documents mis à disposition après le procès, explique que le jury n'aurait pas pris la peine de relire le formulaire de verdict de 109 pages rendu par la juge Lucy Koh à la fin du procès. Ce document contenait pourtant des éléments primordiaux et complexes pour la bonne compréhension de l'affaire. Autant d'informations que les neuf jurés n'ont pas jugé bon de se remémorer. De même, ces derniers n'ont posé aucune question et n'ont demandé aucune aide durant les délibérations : une situation qui étonne également les observateurs, du fait de la complexité du cas. En attendant les suites de ce feuilleton, cet échec de Samsung jette le trouble à Suwon, où 40.000 des 200.000 employés de Samsung Electronics travaillent jusque tard dans la nuit. Car le verdict remet en cause la philosophie même de développement qui a permis à une petite affaire familiale de poisson séché lancée en 1938 à Daegu de se hisser au sommet du high-tech mondial. L'histoire de Samsung est celle d'un rattrapage permanent sur les leaders mondiaux, en améliorant sans cesse des innovations découvertes par d'autres. « Nous n'avons pas besoin d'être Apple, cela nous suffit d'être le premier suiveur du marché », résumait Reuben Staines, un porte-parole, à Séoul, avant le procès. Quand Steve Jobs ambitionnait de changer le monde, Lee Kun-hee, le fils du fondateur de Samsung, cherche à être le plus grand vendeur de la planète en inondant le marché de produits à la qualité irréprochable. Après avoir détrôné les Taïwanais sur les puces électroniques dans les années 1980, puis battu à son propre jeu le géant Sony sur les télévisions durant la décennie 1990, l'entreprise de Suwon menace déjà la suprématie de l'iPhone, trois ans à peine après avoir pris le train du smartphone en marche. Au-delà des dommages et intérêt de plus de 1 milliard de dollars qu'il est condamné à verser à son rival, le verdict pose une menace à moyen terme pour l'empire de Lee, car il obscurcit l'avenir du système Android, sur lequel il a bâti son succès. La faiblesse de son propre écosystème Bada lui laisse peu d'alternative viable en cas de nouvelle victoire juridique d'Apple contre le système de Google. En représailles, Samsung peut en théorie couper les approvisionnements en puces des iPad et iPhone, mais cela reviendrait à se tirer une balle dans le pied, puisque Apple est son premier client. « Samsung va devoir réaliser une douloureuse révolution culturelle pour rester au sommet », prévient Bae Doo-wan, du Korea Advanced Institute of Technology, le « MIT » coréen. Le verdict californien est un coup d'arrêt spectaculaire dans l'ascension de la plus grande entreprise d'électronique au monde en volume de vente, à qui tout souriait depuis le début de l'année. Après avoir ravi à Nokia le titre de premier fabricant mondial de téléphones mobiles au printemps, Samsung a dépassé Apple en nombre de smartphones vendus. Le triomphe du nouveau Galaxy S3, vendu à plus de 10 millions d'exemplaires deux mois après sa sortie, en juin, prenait de vitesse la marque de Cupertino et accentuait la pression sur l'iPhone 5, attendu à la rentrée. Et puis la « guerre des brevets » lancée par Jobs avait jusqu'ici offert une publicité gratuite au « challenger » sud-coréen en le consacrant comme seul rival planétaire d'Apple. Le verdict de la justice américaine n'a pas encore produit tous ses effets, mais beaucoup d'observateurs y voient déjà un grand coup de pied dans l'échiquier mondial du mobile qui pourrait être amené à connaitre de nouvelles évolutions.