Mohamed Mechati, vous avez participé à la réunion des 22, mais avant cela, vous avez connu les différents mouvements nationaux apparus après 1945 et, depuis toujours, vous minimisez le rôle de l'Etoile nord-africaine... Le 1er novembre n'est pas descendu du ciel. Les historiens attribuent souvent l'action du mouvement national à l'Etoile nord-africaine (ENA). Mais pour moi son apport était plus négatif que positif. C'est beaucoup plus l'action de l'Emir Khaled qui a commencé bien avant, en 1919, par sa fameuse lettre au président américain Wilson au sujet de l'autodétermination du peuple algérien. L'Etoile nord-africaine n'est venue qu'en 1926. L'Emir Khaled avait déjà posé les jalons du mouvement aussi bien en France qu'à travers toute l'Algérie, il avait réussi à contacter les lettrés, médecins, avocats et surtout les conseillers municipaux. Son action en Algérie a beaucoup dérangé l'Etat français ce qui a conduit à son expulsion au Moyen-Orient. L'Emir a réclamé des revendications claires, ce qui n'était pas le cas de l'ENA, son appellation même n'était pas politique, est-ce une association, un club de foot ou autre chose ? Le Parti communiste français (PCF) avec l'aide de Hadj Ali Abdelkader, a créé ce mouvement. Dans son statut, il est écrit que c'est un mouvement à caractère social. Le PCF voulait détourner les revendications de l'Emir Khaled à son avantage. Par la suite, l'ENA a apporté le zaïmisme, le populisme et l'activisme inintelligent. L'historien Charles André Julien le dit clairement, c'est l'Emir Khaled qui a été le premier à avoir posé le problème politique au niveau international. Le résultat de l'ENA, c'est Messali Hadj. Et c'est comme ça que le PPA a été créé le 11 mars 1937, c'est le premier parti politique algérien. C'est là qu'on a commencé à parler sérieusement de politique. Bendjalloul et Ferhat Abbas ont pris la chose pour continuer le travail de l'Emir Khaled. En 1939, le parti a été dissout, les responsables, Messali Hadj, Mezghana, et surtout Lahouel Hocine qui était la tête pensante ont été arrêtés. II était modeste, il savait écrire et était doué pour faire les discours. Il n'imposait pas ses idées, il travaillait avec des collaborateurs. Les massacres de mai 1945 ont bouleversé l'Algérie et le paysage politique. Comment s'est organisé l'avant 1er novembre ? En 1945, il y a eu une union entre le PPA. Ferhat Abbas créa le Manifeste du peuple algérien, il y avait aussi les communistes, ce qui a conduit à la création de « Les amis du manifeste et de la Liberté ». Le massacre du 8 mai 1945 était calculé. Il y a eu plus de 100 000 arrestations, dont les militants Messali Hadj, Ferhat Abbas et Cheikh Bechir El Ibrahimi. Arrivé à ce stade, les militants ont constaté que la France ne parle que par la force, ce qui a conduit à la création de l'Organisation Spéciale (OS) en 1947. De son côté, Messali Hadj avait été influencé par Azzam Pacha de la ligue arabe qui lui a conseillé de ne plus travailler dans la clandestinité et de créer un parti politique. Messali a imposé un parti légal, le MTLD, qui a participé à l'élection pour l'Assemblée nationale, nous n'avons eu que 4 députés. L'OS fonctionnait bien jusqu'à l'incident de Tébessa. Par notre faute tout a été démantelé, l'organisation a été dissoute et les éléments arrêtés. Les responsables du parti nous ont versés dans la politique. Nous les Constantinois, Abderahmane Guerras, Habachi Abdeslem, moi, Larbi Ben M'hidi et Didouche Mourad nous nous sommes retrouvés dans l'Oranie parce que cette région manquait de personnes formées en politique. Notre travail consistait à inviter le peuple à adhérer à notre cause, et à trouver des militants et des fonds. Mais le peuple en avait marre, les gens nous disaient qu'ils veulent la lutte armée. Larbi Ben'Mhidi disait : « Jetons la révolution dans la rue elle sera reprise par le peuple ». Vers la fin de 1953, le congrès était organisé où nous avions traité des problèmes idéologiques, politiques, stratégiques, pour définir ce que le nationalisme voulait dire. Entre temps, Messali Hadj demandait la présidence à vie, chose que le comité central avait refusée. Les deux camps s'accusaient mutuellement. Il y avait une déchirure. Il fallait placer les hommes capables d'appliquer les décisions du congrès, les proches de Messali ont été écartés parce qu'ils étaient incompétents. Les gens qui avaient un bagage intellectuel avaient suivi le comité central, les autres avaient suivi Messali. Cette division était nécessaire selon vous ? Il faut dire que le secrétaire général du parti, Lahouel Hocine, était le seul élément en rapport avec les éléments de l'OS. Il a fait appel à Boudiaf qui était en France et non à Ait Ahmed ou Ben Bella. Lahouel avait expliqué à Boudiaf qu'avant de passer à l'action armée il faut nous organiser. Former un comité révolutionnaire pour l'unité et l'action avec Boudiaf, Benboulaid, plus deux responsables du comité central, Dekhli et Bouchbouba pour réunir les militants du parti politique. Boudiaf a fait deux réunions en convoquant 16 personnes du département de Constantine, 4 d'Alger et 1 d'Oran. C'est ce qu'on appelle la réunion des 21 ou des 22. Lorsque nous étions convoqués à Alger, nous ne savions pas de quoi il s'agissait. Benboulaïd avait pris la parole le premier, il nous a expliqué qu'il fallait choisir deux personnes parmi nous pour élire le comité. Boudiaf a été élu il et a constitué le comité. Krim Belkacem a été contacté pour représenter la Kabylie. La suite, tout le monde la connaît. On dit que les générations nées après 1962 ne connaissent pas parfaitement leur histoire. Qu'en pensez-vous ? C'est vrai. Qu'est-ce que les jeunes ont tiré de l'histoire sinon des choses sur Ben Bella et Boumediene. Nous avons fait un mauvais départ et les mauvais départs se payent très chèrement. Lisez l'avant propos de mon livre, ça explique tout cela. Les hommes politiques aux ambitions démesurées nous ont conduits à cette situation. Nous avons mené une guerre atroce de 7 ans pour arriver à ce résultat. Regardez le Vietnam où ils en sont aujourd'hui. Que pensez-vous du dérapage de l'ex-ministre français Gérard Longuet à propos de la repentance de la France pour ses crimes coloniaux ? Il ne faut pas attendre quelque chose des Français, même à l'époque de la colonisation, les communistes étaient contre nous. Maintenant, il appartient aux responsables de répondre à ces provocations. Nous avons donné un coup de pied à la colonisation. Ils n'arrivent pas à avaler leur défaite et l'indépendance de l'Algérie. Rien qu'à Constantine ils ont perdu trois généraux. Kais Benachour