La contestation populaire s'installe dans l'Egypte de Morsi aux pouvoirs illimités, contestée par l'autre Egypte campant devant le Palais présidentiel et forçant le président égyptien au départ précipité. Le « dernier avertissement », lancé par El Baradeï prêt à la « désobéissance civile » a donné à la crise politique une dimension inquiétante justifiant l'appel de Washington au respect du caractère pacifique des manifestations et au « dialogue démocratique, juste et transparent » dans les deux sens et en toute urgence. Dans cette transition des extrêmes, écartelée entre les Frères musulmans et le mouvement protestaire, incarné par l'opposition libérale et laïque, la société civile et les jeunes de la place Tahrir, déterminés à défendre les acquis et l'héritage de la révolution du 25 Janvier 2011. L'effet boule de neige a suscité le recours à la grève dans la presse (au moins 12 journaux influents, la télévision (5 chaînes), le Club des juges (une sorte de syndicat composé de 14 000 adhérents), la Cour constitutionnelle (19 juges) en charge de la constitutionnalité des lois, la Cour de cassation et la Haute Cour constitutionnelle. Le front de refus s'érige en rempart contre ce qui est qualifié de dérive dictatoriale. « L'Egypte va-t-elle accepter qu'un groupe impose sa Constitution ? », s'est interrogé l'analyste politique Hassan Nafaa. De son côté, le nassérien Hamdine Sabbahi, arrivé en 3e position dans les présidentielles, a lancé, de la place Tahrir, que « l'Egypte ne s'inclinera pas devant la volonté de quelques-uns ». A 10 jours du référendum, le face-à-face des alliés d'hier, devenus des adversaires irréductibles, vire au tragique dans un déchaînement de manifestations et de contre-manifestations aux conséquences pour le moins imprévisibles. La fracture est donc irrémédiable. Elle est davantage cimentée par le coup de force de Morsi, procédant à l'adoption du projet constitutionnel par une assemblée constituante, dominée exclusivement par les islamistes, notamment après le retrait des représentants de l'opposition. Il est jugé dangereux pour la démocratie, accordant trop de place au volet religieux et ne garantissant suffisamment de libertés, surtout pour ce qui concerne les questions fondamentales de la liberté d'expression, du respect des minorités et des droits de la femme... Mais, pour l'essentiel, le projet constitutionnel couronne les « pouvoirs souverains » de Morsi, placé au-dessus de toute forme de contrôle par le décret du 22 novembre, interdisant tout recours contre ses propres décisions. Le dernier verrou est ainsi posé dans l'Egypte de Morsi qui conforte la mainmise totale sur les institutions législative - en raison de l'invalidation, en août dernier, de la Chambre des députés -, exécutive et judiciaire. Dans ce climat de tensions exacerbées, le pire est redouté. La nouvelle Egypte se prépare au choc des visions antagoniques dans une démonstration de force inouïe des adversaires et des partisans de Morsi appelant à des manifestations devant le Palais présidentiel. Les Frères musulmans et « d'autres forces populaires » entendent défendre la légitimité du chef de l'Etat, alors que l'opposition tient Morsi pour responsable des risques de dérapage. « Il a été convenu, en coordination avec les forces révolutionnaires, de manifester devant le Palais présidentiel. Si les Frères musulmans ne nous attaquent pas, tout se passera bien », a précisé Mohamed Waked, porte-parole du Front national pour la justice et la démocratie, l'une des composantes de l'opposition. Incertitudes.