Des douaniers et des gendarmes ont fait l'objet de tentatives de meurtre et d'autres ont même été brûlés vifs. Les contrebandiers et les narcotrafiquants n'hésitent pas à s'attaquer aux agents de l'Etat, allant jusqu'à recourir aux armes de guerre pour acheminer la drogue. En raison de cette menace, des criminologues de l'institut national de criminalistique et de criminologie de la gendarmerie à Bouchaoui ont établi une étude analytique sur le phénomène qui ne cesse de prendre des proportions alarmantes depuis 2007. Les enquêteurs ont mené des entretiens sur un échantillon de 31 contrebandiers qui ont accepté de se confier sous le sceau de l'anonymat, de 108 gendarmes, de 6 douaniers chargés de la lutte contre la contrebande, de 6 fonctionnaires de différentes administrations publiques et de 13 citoyens représentant la société civile. L'analyse des causes des agressions perpétrées contre les éléments des services de sécurité en charge de la lutte contre la contrebande montre que ces violences « ont lieu dans un contexte favorable à l'émergence et au développement de la criminalité transfrontalière », souligne l'étude. Les actes de violence perpétrés ont fait, cette année, 15 blessés parmi les éléments de la gendarmerie. Le bilan fait état, également, d'une tentative de meurtre contre un gendarme. Cinq véhicules de service ont été endommagés lors d'affrontements. La frontière est avec la Tunisie vient en tête, avec 30 agressions enregistrées, dont 23 au niveau de la wilaya de Tébessa avec des pics de 15 et de 8 agressions au niveau des communes de Bir El Ater et Laouinet.D'autre part, l'étude signale des agressions d'un type nouveau à Tébessa et Oum El Bouaghi où, durant la même journée, des groupes de contrebandiers, soutenus par leurs proches, ont investi les services des urgences dans le but de délivrer leurs complices hospitalisés pour des soins à l'issue de leur arrestation par les services de sécurité. Injures, menaces et agressions Autre pratique : les contrebandiers n'hésitent pas, à chaque saisie de marchandises, à ameuter la population et à créer une instabilité pour intimider les services de sécurité. Ils s'attaquent même aux barrages et aux infrastructures de l'Etat, à l'exemple du dépôt des douanes de Maghnia incendié par des contrebandiers. Plus de 300 véhicules y ont été brûlés. Dans la wilaya d'El-Taref, les mêmes services ont enregistré deux attroupements et des actes de jet de pierres à leur encontre. Du côté de l'ouest du pays, la mission des groupements des gardes-frontières (GGF) et des douaniers n'est pas également aisée : attroupements, jets de pierres et obstruction de routes ont été constatés dans la wilaya de Tlemcen. On se souvient de ce jeune douanier sauvagement assassiné par arme blanche à Maghnia, par des contrebandiers, et des quatre autres citoyens brûlés vifs à Tébessa. L'étude n'a pas évoqué les agressions armées perpétrées par les narcotrafiquants au niveau des frontières sud ouest, plus précisément à Béchar. Un officier des GGF, de grade de capitaine, et deux gendarmes ont été tués dans des accrochages à quelques mètres de la bande frontalière avec le Maroc. Les auteurs de ces violences sont âgés entre 18 et 40 ans. Ils sont, dans leur majorité, mariés, pères de famille et chômeurs. Ils habitent sur la la bande frontalière et leur niveau d'instruction ne dépasse pas le primaire. L'étude relève que les contrebandiers ne croient pas à l'aspect illicite de la contrebande malgré sa criminalisation par la loi. Selon les lieux, la contrebande relève de bandes professionnelles parfaitement organisées. La hausse du prix du pétrole : un facteur de violence Evoquant les facteurs déclencheurs des actions de violence, l'étude cite « l'avènement du trafic du carburant associé à l'augmentation des prix de pétrole », comme cause principale en plus de l'absence d'alternatives à la contrebande à travers la bande frontalière. La violence s'explique aussi par une réaction au durcissement de la loi relative à la lutte contre la contrebande et le renforcement du dispositif sécuritaire au niveau des frontières. Reste que la principale cause des trafics trouve son origine dans les conditions sociales défavorables des populations des zones frontalières conjuguées au chômage et à l'absence de prise en charge d'une frange importante d'une jeunesse fragilisée. Ce constat est confronté également à l'absence de stigmatisation des méfaits de la contrebande de la part des citoyens, des élus et des représentants de la société civile qui la présentent comme « une délinquance douce », malgré son inclination au crime, ses effets pervers sur la société et les pertes économiques et financières énormes qu'elle fait subir à l'Etat. L'enquête conclut que la contrebande en tant que criminalité transfrontalière, « nécessite d'être traitée dans un cadre de lutte plus globalisé qui doit intégrer ses contingences prouvées et ses connexions avérées avec les autres formes du crime organisé transnational dont le trafic de drogue et le terrorisme plus particulièrement ».