L'explosion du web.20 a fait reculer toutes limites juridiques savamment imaginées par de nombreux gouvernements pour mettre au point des niveaux de responsabilité sur les contenus diffusés sur Internet et particulièrement sur les réseaux sociaux. Pourtant, le droit et surtout la jurisprudence, vont devoir s'adapter aux difficultés liées à la maîtrise des réseaux sociaux. La situation est compliquée puisque tout le monde est à la fois sujet passif et manipulateur de données. En témoigne le nombre de fichiers numériques (photos, textes etc.) hébergés par Facebook qui atteindrait 30 milliards. Les exemples sont légion sur les difficultés à statuer justement sur cette problématique. On peut ainsi lire sur le site français eduscol.education.fr l'aventure vécue par Alexandre, 17 ans, un collégien, suite à la diffusion d'un contenu sur le site de son école. « Lors d'une journée au lycée, j'ai fait le pari que je pourrais filmer un cours de français avec mon téléphone. J'ai réussi à en filmer une partie et le moment où la prof s'énervait était si drôle que mes amis m'ont demandé de leur envoyer la vidéo. L'un deux l'a mise en ligne sur une plateforme vidéo et sur un réseau social. Les commentaires qui ont suivi étaient tous assez virulents et le nombre de visionnages augmentait. Je trouvais cela de moins en moins drôle... Mes parents n'y connaissant rien, inutile de leur demander de l'aide. Comment supprimer cette vidéo qui n'était plus sous mon contrôle ? J'ai été convoqué dans le bureau du proviseur qui m'a expliqué qu'une plainte avait été déposée et que l'enquête de police me désignait comme l'auteur du film. Etant mineur, mes parents ont été informés et impliqués dans une procédure judiciaire... Je ne suis pas près de recommencer » conclut le jeune collégien. Ce cas a bien entendu été traité à la lumière de la législation en vigueur en France qui distingue clairement les responsabilités entre les différents acteurs en présence dans un cas comme celui-ci L'auteur est réputé à l'origine du contenu qui peut être une œuvre originale ou non (un texte, une vidéo, une photo, un article posté sur un blog, etc.) ; ce que notre jeune collégien a dû apprendre à son corps défendant ; dans le cas d'un blog ou de pages personnelles, il en est également l'éditeur. Vient ensuite l'éditeur d'un contenu qui, auteur ou non, en assure la maitrise éditoriale, puis le fournisseur d'un service de communication en ligne qui crée un service (forum, blog, etc.) et peut proposer un espace de rédaction à des auteurs. L'hébergeur est la structure qui fournit les moyens techniques pour donner accès à des sites internet. Il assure le stockage de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature. Un internaute décide d'utiliser une vidéo offerte au téléchargement sur une plateforme. Il la diffuse ensuite sur son propre site internet. Il reçoit une lettre de mise en demeure afin de retirer ce contenu illicite sous peine de poursuites judiciaires. Il s'étonne, retire le contenu qu'il croyait légal de son site et apprend que la plateforme ne risque aucune poursuite, quant à elle, car elle est qualifiée d'hébergeur de contenu. Enfin, le fournisseur d'accès à Internet (ou FAI) qui garantit un service donnant la possibilité d'accéder au réseau internet. En termes de responsabilité, Facebook veut clairement jouer le rôle d'un hébergeur vis-à-vis des exploitants d'applications et le mentionne ainsi dans ses conditions d'utilisation : « You are responsible for all content of and within your application, including advertisements and user-generated content ». Du côté du consommateur, Facebook se décharge également de toute responsabilité : « We make no warranties of any kind, express or implied, with respect to any products or services sold on or through facebook ». Son activité classique de réseau social semble correspondre à la définition en vigueur en Europe, comme le précise la Cour de Justice de l'Union Européenne : l'hébergeur est le prestataire gérant un service à caractère « purement technique, automatique et passif », impliquant que ledit prestataire « n'a pas la connaissance ni le contrôle des informations transmises ou stockées ». Ce qui laissent beaucoup douter que cette définition .puisse convenir à Facebook. En Europe, deux statuts définissent le niveau de responsabilité d'un site web (ou « prestataire technique »). Il est soit éditeur (le cas classique d'un blog), soit hébergeur. Le premier est responsable de ses contenus dès publication, dans un régime comparable à celui d'une publication de presse. Le second est présumé non-responsable des contenus qu'il met à disposition, sauf s'il a eu connaissance de leur caractère illicite sans les retirer. En droit américain, le Digital Millenium Copyright Act (DMCA) adopté en 1998 a introduit un système qui limite la responsabilité des hébergeurs : ils sont exonérés de leur responsabilité s'ils procèdent à la suppression ou bloquent l'accès au contenu illicite dès qu'ils sont avertis de l'existence dudit contenu. Ce qui a été particulièrement reproché au site Megaupload, fermé depuis, qui n'aurait supprimé de façon automatique et rapide l'accès aux fichiers piratés (alors même qu'il a été procédé de la sorte pour les fichiers pédopornographiques ou de propagande terroriste). L'accusation va bien sûr beaucoup plus loin sur la question de la mauvaise foi du site. On est pourtant loin des débats que suscitent les pratiques des réseaux sociaux pour lesquels les atteintes aux droits de la personne à son image et à sa réputation sont de plus en plus nombreuses, voire banalisées. Au point qu'un nouveau marché est entrain de former, celui des « nettoyeurs du Net ». Pour les particuliers, sur le Web, ce qui compte ce sont les trois premières pages qui ressortent sur le moteur de recherche « Google ». Les nettoyeurs du Net se chargent donc d'effacer les informations négatives sur leurs clients dans ces trois pages. Pour ce faire, les professionnels de l'e-réputation utilisent plusieurs méthodes. « La première étape, c'est de contacter les sites concernés pour leur demander de retirer certaines informations, raconte Grégory Couratier directeur de Zen-réputation, agence spécialisée sur ce créneau. Dans la majorité des cas, on arrive à nettoyer les pages internet grâce à la négociation à l'amiable. » Cette solution reste la meilleure car peu onéreuse. Mais cette manière de procéder ne porte pas toujours ses fruits. « En fonction du pays où sont hébergés les sites internet et de leurs lois, c'est plus ou moins compliqué de faire effacer des données. En Europe, cela fonctionne assez bien mais aux Etats-Unis, par exemple, c'est beaucoup plus compliqué. D'où les problèmes avec Google et Youtube », explique le chef d'entreprise. Dans le cas où la négociation à l'amiable ne fonctionnerait pas, les nettoyeurs du Net procèdent au « noyage » des informations, aussi appelé « déférencement » ou « enfouissement ». Il faut alors produire des sites pour remplacer les liens porteurs d'informations négatives en utilisant des mots clefs pour ressortir davantage dans les moteurs de recherches. Mais plusieurs semaines doivent s'écouler avant que les sites n'arrivent en tête de la sélection de Google. Néanmoins, cette solution trouve sa clientèle car elle implique toujours moins de temps qu'une décision juridique. « Avant qu'une procédure n'aboutisse, cela peut prendre plusieurs mois et l'attente aller jusqu'à un an et demi, surtout lorsque le site internet est hébergé à l'étranger » explique Me Gérard Haas, avocat parisien spécialiste du droit Internet. A l'avenir, une autre solution pour permettre aux internautes de choisir les données qui les concernent sur internet pourrait voir le jour : le passage d'une loi sur le « droit à l'oubli ». La Commission européenne a présenté, au début de l'année passée, une proposition de législation controversée, imposant aux grands groupes de l'internet d'obtenir le consentement préalable des personnes pour l'utilisation de leurs données personnelles, sous peine d'amendes. La disposition phare des propositions de la commissaire européenne à la Justice, Viviane Reding, consiste à introduire un « droit à l'oubli numérique » qui obligera notamment les réseaux sociaux à supprimer les données personnelles, photographies ou autres, des utilisateurs qui le demanderont. Plus généralement, les entreprises présentes sur internet devront obtenir un consentement clair des citoyens dont elles veulent utiliser les données. Cependant, la bataille n'est pas gagnée. Les avocats de Twitter, Facebook et Google assurent que cette mesure irait à l'encontre de la liberté d'expression et du droit à l'information. Une manière de confirmer leur attachement au droit à user de la réputation et de l'image de leurs usagers.