Qui d'autre mieux que Abderrahmane Aziz pour faire du chant un hymne à la thérapie est ainsi rejoindre le docteur Frantz Fanon dans son héroïque combat contre le colonialisme. Abderrahmane Aït Mira n'est autre qu'Abderrahmane Aziz, un chanteur qui a consacré l'intégralité de son parcours artistique à l'engagement patriotique aussi bien par le chant que par l'enseignement didactique. Ainsi, durant la guerre de Libération, il participe à sa manière au combat mené par les artistes en faveur d'une prise de conscience du peuple quant à la portée de la Révolution. Coucher le colonialisme sur le divan et l'enfermer dans l'asile de l'histoire, c'était une révolution psychanalytique rondement menée dans le labyrinthe du modeste centre psychiatrique de Blida. Les pensionnaires de cette honorable institution n'avaient de nom qu'une mémoire entachée de souvenirs macabres subits dans les geôles du colonialisme. Dans leur univers carcéral, une voix salvatrice est venue adoucir les mœurs enflammées par la rougeur du fer. Pour rien au monde, Fanon ne troquera sa nouvelle « coqueluche » contre la sévère discipline médicamenteuse pour soulager ses patients. Il lui a fallu écouter un soir d'hiver lors d'une veillée attractive donnée à l'occasion d'une fête religieuse du Mouloud la sublime complainte de « l'aveugle » de Abderrahmane Aziz qui fit ce jour-là sensation, si bien que tous les malades prirent goût au message de ce nouveau « gourou ». De son humble bureau du rez-de-chaussée de l'hôpital Joinville, dont il gérait la destinés, le thérapeute du colonialisme prit Abderrahmane Aziz comme « traitement thérapeutique » avec comme soins adjuvants, les sessions de chants et musiques aux patients. De son statut de chanteur, il passa aux côtés du docteur Frantz Fanon comme collaborateur indispensable dans la gestion de la santé mentale et le procès du colonialisme. Le personnage aussi effacé que sa mince silhouette fut aussi un homme du théâtre, un tribun bilingue qui manie admirablement le geste et la parole, dans ses envolées lyriques pour camper « Kais ». L'histoire lui reconnaît aujourd'hui sa pleine aptitude intellectuelle à servir la nation, un artiste homme de lettres, un des rares élèves de la Chabiba à passer au Mihrab comme Muezzin, sa voix tant appréciée de tous fut retenue dans comme panacée aux humiliations du colonialisme. Dans la ville des Roses, à quelques encablures de l'hôpital psychiatrique, celui qui prit soin de se diriger un soir vers sa nouvelle destination scella la plus belle ode avec un destin humanitaire. C'est par un hiver de 1992 que feu Abderrahmane Aziz rend l'âme, laissant derrière lui un héritage hors du commun : un cas d'école dans la prise en charge de la santé mentale.