Des deux côtés de l'Atlantique, les politiques n'ont de cesse de viser les fameuses techniques de l'optimisation fiscale mises en place depuis des années par des multinationales, notamment celles agissant dans l'Internet et les nouvelles technologies, pour payer pas du tout d'impôts sinon le moins possible. Réunis à Moscou, la semaine écoulée, pour le sommet du G20 Finances, les ministres des Finances et les gouverneurs des Banques centrales du G20 ont manifesté leur volonté de « s'attaquer aux failles du système fiscal international qui permettent aux multinationales d'échapper à l'impôt » Un peu comme en 2008 avec le résultat que tout le monde connait : les multinationales du net se sucrent toujours. Avec des méthodes différentes, les multinationales du net tirent toutes profit des législations comptables et fiscales en vigueur, tout comme elles puisent dans le potentiel du commerce à l'ère numérique, une ère où les frontières et l'Etat sont réduits à une simple vue de l'esprit. Dans son rapport rendu public cette semaine, cité par le site www.01.net, le Sénat américain pointe du doigt le système ingénieux du géant de l'informatique HP. Pour l'année fiscale 2012, environ 65 % de ses revenus nets ont été générés hors des Etats-Unis, selon un document de la société HP. Soit plusieurs milliards de dollars imposables à hauteur de 35 % s'ils étaient rapatriés aux Etats-Unis, en application des lois fiscales américaines. Ces revenus devaient théoriquement être imposés dans les pays où ils sont générés. Rien de tout cela grâce à un système mis à nu par le rapport sénatorial américain, reposant sur un modèle de prêts accordés par deux entités offshore contrôlées par HP : le Belgian Coordination Center (BCC), situé en Belgique et le Compaq Cayman Holding Corp. (CCHC), implanté dans les îles Cayman. Mis en place en 2003, le système a connu une première vie jusqu'en 2008 avant d'être redéployé dans une version plus « performante et plus fluide ». Ce système de prêts à la maison mère HP, aux Etats Unis, de sociétés off shore lui appartenant, lui permet « d'utiliser les bénéfices réalisés à l'étranger sans passer par une distribution formelle de dividendes qui seraient imposées », indique le rapport américain. Agissant comme « banque interne pour HP », le BBC reçoit ainsi des dépôts des autres entités hors du sol américain de HP, accorde et reçoit des prêts des différentes entités, avec comme seule vocation de financer l'entité mère de HP. L'autre pied du système, le CCHC est qualifié, selon les termes même de la société HP, de « masse stagnante » de cash « disponible essentiellement pour des prêts à la société HP américaine ». Avec des prêts pouvant aller en moyenne à 3,2 milliards de dollars sur des périodes courtes échelonnées de 45 jours, la mécanique fonctionne tel que la décrit le responsable des impôts de chez HP entendu par la commission d'enquête parlementaire américaine : « Le département des finances de HP évalue les besoins prévisionnels de HP pour déterminer la périodicité et la quantité de liquidités qui sera nécessaire aux Etats-Unis pour financer son capital de fonctionnement au cours de l'année... ». Pour donner une idée de l'ampleur des prêts et de la régularité à laquelle ils sont alloués (de manière continue, dans les faits), peut on lire sur www.01.net, l'étude sénatoriale révèle que pour le seul premier trimestre 2010, HP Etats-Unis a emprunté entre 6 et 9 milliards de dollars auprès du BCC et de la CCHC, « sans interruption ». Ces sommes servant tout aussi bien à financer le rachat d'actions, qu'à payer les salariés américains, voire financer des acquisitions. Les parlementaires américains sont persuadés que ce système a été conçu « pour tenter de contourner l'esprit de la section 956 » de la loi fiscale américaine, qui oblige à l'imposition des revenus réalisés à l'étranger quand ils rentrent sur le sol américain. Naturellement pour le cabinet conseil d'audits Ernst & Young, qui travaille pour le compte de HP, il est certain que ces prêts « respectaient les restrictions temporaires et que les entités prêteuses respectaient les obligations d'indépendance imposées par la section 956 ». Plus pointilleux, en raison notamment des effets de la crise économique, les pays européens sont plus regardants sur le sujet qui a fait l'objet d'un rapport de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) dans le but de « lutter contre l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices ». Cette étude, présentée à l'occasion du G20 le 16 février dernier, décortique les mécanismes d'optimisation fiscale des entreprises multinationales, qui arrivent à transférer leurs bénéfices de telle manière à ne payer que peu ou pas d'impôts. Ces astuces somme toute légales, s'appuient sur les failles juridiques des conventions fiscales entre les pays et sur certains territoires à faible taux d'imposition qui servent de base aux systèmes d'évasion. Pour éviter ces situations de vulnérabilité, l'OCDE préconise une meilleure « coopération internationale ». L'OCDE note que l'économie numérique est de ces domaines où les dysfonctionnements sont plus forts, notamment grâce à l'omniprésence virtuelle du Net. Face à ce phénomène, le rapport de l'OCDE estime que les normes fiscales en vigueur sont totalement dépassées. « Il est aujourd'hui possible d'être fortement impliqué dans la vie économique d'un autre pays, par exemple en réalisant des transactions électroniques avec des clients situés dans ce pays, sans y avoir de présence imposable (présence physique substantielle ou existence d'un agent dépendant). À une époque où des contribuables non-résidents peuvent tirer d'importants bénéfices de transactions avec des clients situés dans un autre pays, on doit se demander si les règles actuelles permettent une juste répartition des droits d'imposition des bénéfices commerciaux, notamment lorsque les bénéfices générés par ces transactions ne sont taxés nulle part », souligne le rapport, dans des extraits publiés sur www.01.net. Rédigé sous la direction de Pascal Saint-Amans, directeur des affaires fiscales de l'OCDE, le rapport relève le « découplage croissant » qui « s'opère entre le lieu où les entreprises exercent leurs activités et investissent et le lieu où les bénéfices sont déclarés à des fins fiscales ». Quelle est l'ampleur du phénomène ? Les études disponibles ne permettent pas de conclure avec certitude. « Mais de nombreux indices corroborent l'idée que les pratiques d'érosion fiscale et de transfert de bénéfices sont largement répandues », mentionne le rapport de l'OCDE. Le mouvement est d'autant plus important que les règles internationales régissant la fiscalité, dont les bases ont été élaborées dans les années 1920 par la Société des nations (avant l'ONU) sont obsolètes. C'est particulièrement vrai dans le cas de l'économie numérique, qui permet de « traiter avec des clients situés dans ce pays par le truchement d'Internet, sans y avoir d'implantation imposable, ou sans être présent dans un autre pays qui prélève des impôts sur les bénéfices », relève l'OCDE. Une situation bien mise à profit par le géant Google dont les pratiques fiscales ont fait l'objet d'un « zoom », en décembre dernier de la part du site d'information économique Bloomberg.com. Ce dernier explique que le géant du web a économisé en 2011 environ 2 milliards de dollars d'impôts, en transférant 9,8 milliards de dollars de revenus vers une filiale du groupe située dans les îles Bermudes, un endroit où les sociétés ne sont pas imposées. Cette pratique n'aurait rien d'illégal et beaucoup d'autres entreprises en seraient adeptes. Néanmoins, souligne le site, « le montant économisé est assez frappant, voire choquant ». Un autre système de dissimulation sophistiqué, celui de Microsoft. Pour le commun des consommateurs, le revenu des ventes d'un produit Microsoft atterrit sans doute aux Etats-Unis loin de se douter que finalement ces sommes font un crochet par l'Irlande pour aller s'amasser aux Bermudes. Pour les ventes en France, l'argent doit d'abord traverser les mailles du filet du fisc français. Rien de plus simple, Microsoft y a adopté dans depuis 1994 le statut d'agent commissionné d'une société irlandaise, Microsoft Ireland Operations Limited. En pratique, cela lui permet de déclarer au fisc français, non pas le chiffre d'affaires réalisé dans l'Hexagone, mais uniquement une commission sur les ventes réalisées. Pour le reste, la société irlandaise indique dans ses comptes réaliser un chiffre d'affaires conséquent : 13,4 milliards d'euros sur l'exercice clos mi-2011. Mais avec une faible rentabilité : seulement 4 % de marge opérationnelle... qui lui permet au final de payer de fort modestes impôts au fisc local (76,5 millions d'euros). Sa rentabilité est délibérément plombée par d'importantes royalties payées pour l'utilisation des logiciels Microsoft. Selon une enquête du Sénat américain, ces royalties se sont élevées à 9 milliards de dollars en 2011. Des profits qui partent aux Bermudes. En effet, Microsoft Ireland Research appartient à Round Island One, une société opérant en Irlande, mais qui bénéficie du régime fiscal des Bermudes. D'autre part, même le chiffre d'affaires réalisé aux Etats-Unis échappe, lui aussi en partie, au fisc américain, ce qui a permis à Microsoft d'économiser 4,5 milliards de dollars d'impôts en trois ans, selon le rapport du Sénat. En effet, quasiment la moitié (47 %) des ventes aux Etats-Unis transitent fiscalement par Porto Rico. Or l'île est aussi un paradis fiscal, qui bénéficie d'un taux ultra-réduit d'impôt sur les sociétés : environ 2 % dans le cas de Microsoft, contre 35 % pour le taux fédéral américain... Rien à voir effectivement, d'autant que c'est une situation des plus normales pour le PDG de Google, Eric Schmidt, pour qui l'évasion fiscale est « assimilée à une évidence liée au capitalisme ».