L'expert international en énergie, l'Algérien Mourad Preure, estime qu'avec la concurrence du géant russe, du Qatar et éventuellement du Mozambique sur le marché européen, l'Algérie devra intervenir sur toute la chaîne gazière et ne plus dépendre de sa place en tant que source d'approvisionnement. Il explique, dans cet entretien, les tenants et lesaboutissants de ce marché en marge de la récente vente-dédicace de son livre « France Algérie : le grand malentendu » à la librairie Kalimate, à Alger. Récemment, le vice-ministre russe du Développement économique a déclaré que les prix mondiaux du gaz naturel pourraient connaître une baisse d'ici à 2015. Qu'en pensez-vous ? Il y a beaucoup d'intox en matière de gaz ! Personne ne peut dire avec certitude comment évoluera le marché à l'horizon 2015. Les 22 projets américains de gaz naturel liquéfié (GNL) vont arriver sur le marché européen. Ajouter à cela les capacités de liquéfaction du Qatar avec 77 millions de tonnes alors qu'en Algérie elles sont de 20,3 millions de tonnes. On parle aussi d'un projet de 50 millions de tonnes au Mozambique. Est-ce qu'une partie de ce gaz mozambicain arrivera sur le marché européen ? De plus, quelle conséquence aura le projet russe de South Stream qui acheminera 63 milliards m3 par rapport aux 55 milliards m3 de gaz algérien sur le marché en Europe ? Il faut signaler que le gaz russe représente 23% du marché gazier total européen. Par ailleurs, les Russes ont construit le North Stream, le nouveau gazoduc, d'une capacité de 27 milliards m3 dont ils vont doubler la capacité pour le porter à 55 milliards m3. On peut penser qu'il y aura beaucoup trop de gaz en Europe. Toutefois, la demande asiatique peut absorber une grande partie de ce gaz. Je ne tranche pas la question des prix car en Europe il existe le marché spot et celui de longs termes. Si le marché spot s'écrase trop, celui de longs termes souffrira. A combien est le prix du gaz actuellement car M. Klepatch parle d'une baisse de 10% ? Actuellement, il est à 10 dollars le million de BTU (British Thermal Unit) pour les contrats à longs termes et sur le marché spot, il est de 6 à 8 dollars le million de BTU et sur le marché américain, 3,40 dollars le million de BTU. Les Américains ont une pointe de consommation inverse à celle de l'Europe. Elle est en hausse en été alors que celle du Vieux continent l'est en hiver. Donc les Américains peuvent exporter en Europe pour rentabiliser leurs gisements de gaz de schiste dont les coûts de production sont situés entre 5 et 6 dollars le million de BTU. Quelle conséquence sur l'Algérie ? L'Algérie doit se redéployer pour être un acteur de la chaîne gazière et non pas une source de gaz. Elle devra aller vers le marché final, soit le client final pour vendre des mètres cubes de gaz et des kilowattheures en électricité. Dans ce cas-là, elle va accueillir les volumes concurrents au lieu de se suffire d'envoyer des volumes vers l'Europe. Le Qatar occupe aujourd'hui 8% du marché européen et l'Algérie en est à 10% et la Russie à 23%. Le Qatar est un grand compétiteur sur le marché gazier européen. Il faut le contrer non avec des volumes car nous ne les avons pas. L'Algérie possède 4,5 trillions m3 de réserves de gaz alors qu'au Moyen-Orient elles sont de 72 trillions m3. Demain, le gaz de schiste algérien apportera des volumes supplémentaires mais cela reste insuffisant en matière de volume. Le gaz de schiste est inévitable car nous avons connu 10 ans de ralentissement en raison des aventuriers qui ont géré le secteur des hydrocarbures et nous sommes en train de payer le prix. Nos exportations baissent ! Votre livre « Algérie-France : le grand malentendu » écrit avec le Français Jean Louis Levet vient de sortir chez nous. Quel est le message transmis par cet ouvrage ? Nous sommes tous deux des spécialistes en prospective. Pour parler du futur, il fallait traiter les questions du passé. Dans cet ouvrage, nous avons traité le futur avec une dimension humaine. En fait, la France est en face de nous. Elle est notre voisin pour longtemps et avec la dérive des continent, on va s'en rapprocher. Dans les deux sociétés, il y a une partie de l'une dans l'autre. Sur le plan économique, dans la Méditerranée, il existe l'orientale et l'occidentale. L'orientale se prolonge au nord au-delà du Bosphore et au sud-est l'océan Indien avec l'Iran et l'Irak qui sont des acteurs. Dans la Méditerranée occidentale, historiquement, les deux puissances sont la France et l'Algérie. Un axe Paris-Alger peut ouvrir des perspectives stratégiques à l'un comme à l'autre. La France souffre avec la crise économique et elle peut trouver des solutions avec l'Algérie.