Pierre Rabhi, enfant du désert dès le début de son roman, se réfère à la grande sagesse de son aïeule. Cette vieille dame paysanne du Grand Sud algérien qui, sans savoir lire ni écrire, avait prophétisé un jour qu'elle huma le pétrole sorti des entrailles des dunes : « ce liquide est issu de la corruption, il faut le laisser à la place que Dieu lui a assignée, sinon le monde en sera corrompu ». Des termes qui vont prendre de l'ampleur au fil des ans et signifier la menace de l'industrialisation sur l'environnement et l'âme des êtres humains. Le héros du récit est Tyemoro, un vieil africain « plus digne que tous les princes », dont l'écrivain dira : « Né de mon imagination, le personnage...symbolise tout ce que je ressens d'amour, de compassion et d'admiration pour les authentiques paysans ». Au fil des chapitres, François, universitaire et chercheur en agronomie, arrive dans ce village au cœur de la brousse et immerge dans un univers de gens simples vivant près de la nature et de la terre dispensatrice de la nourriture quotidienne. Dans le pays profond africain, de nouvelles donnes viennent perturber l'ordre ancestral établi. Elles s'insinuent, déstabilisant la paix intérieure des anciens et poussant les jeunes vers « le grand village » qui n'est autre que la ville. « Larzan » en remplacements des cauris coquillages utilisés comme monnaie, bracelets mesurant le temps, looto, voitures « insectes de métal aux yeux globuleux », la poudre des Blancs, engrais chimiques qui vont donner d'abondantes cultures, des buffles de métal appelés « trator », autant d'incursions venues sans crier gare apporter de nouvelles souffrances en ces lointaines contrées, heureuses de vivre en communion avec la terre. Tout cette modernité avait agité la sagesse de la vie séculaire, ce qui fit dire à Tyemoro : « Des dizaines de lunes se sont écoulées et nous nous sommes habitués à tous les bouleversements... l'ombre qui, naguère, abritait nos pas, s'était dissipée...une inquiétude nouvelle s'ajouta à nos tourments...alors qu'elle (la terre) nous allaitait comme une mère, de substances vivantes...nous lui demandions d'être prodigue pour avoir toujours plus de cauris... » Un livre profondément humain, rapportant les préoccupations des communautés face à la manière inconsciente de la destruction des forêts, la pollution des rivières, la surexploitation des terres. C'est un verdict sur le profit, le raisonnement économique influant négativement sur le devenir de l'humanité et l'environnement. Leïla Nekachtali *« Parole de terre », Pierre Rabhi, Editions Albin Michel Autres parutions de l'auteur « du Sahara aux Cévennes », « Le gardien du feu » , « L'offrande au crépuscule » et « le recours à la terre ».