Daho Djerbal, auteur de plusieurs ouvrages sur l'histoire contemporaine de l'Algérie a abordé, hier, les événements du 8 mai 1945. « Le chiffre de 45.000 victimes a été avancé par la presse mais aucune étude sérieuse, ici ou ailleurs, n'a été menée pour établir avec exactitude le bilan de cette répression sauvage », souligne-t-il lors du forum du journal Liberté. Il plaide pour un travail analogue à celui de l'historien français, Jean-Luc Einaudi, sur les événements d'octobre 1961 à Paris. L'historien français avait consulté les archives des municipalités, des hôpitaux, de la police... Toute la difficulté est dans la remise en cause d'un chiffre qui fait, désormais, partie de la mythologie de la résistance. Présent à la rencontre, Fouad Soufi, spécialiste des archives, fait remarquer que « peu importe le chiffre, ce qu'il faut comprendre, c'est la logique du massacre ». Pour l'enseignant au département d'histoire de l'Université d'Alger, « les chercheurs devraient s'atteler à cette tâche car, au delà de la commémoration d'une date, il faut surtout connaître comment celle-ci marque la mémoire individuelle ou collective et les territoires ». Se référant à son récent livre sur les commandos de la Fédération de France, il indique que « la plupart des hommes furent marqués par la répression de mai 1945 ». Moh Clichy, l'un des responsables de la lutte armée en France, confirme, en relatant ses souvenirs de l'époque. Plutôt que de s'appesantir sur les faits ou récapituler les événements, M. Djerbal a opté pour une nouvelle approche de ce qui constitue, selon lui, « un maillon dans la longe chaîne de la résistance du peuple algérien ». « Les événements du 8 mai 1945, qui avaient touché le Constantinois, notamment les régions de Guelma, Sétif, de la Petite Kabylie, des Babors et la côte bougiote, bombardée par terre et par mer, ne sont pas un événement fortuit ou spontané, mais découlent d'un processus de remise en cause continu d'un ordre établi », observe-t-il. Il remontera aux années qui avaient précédé cette révolte. Ces années furent marquées, selon lui, par « une détresse sociale et par le basculement des notables, alliés de la colonisation, qui furent remplacées par d'autres, plus fidèles ». Cette mutation doit requérir l'attention des chercheurs. Il en fournira des preuves de « cette dissidence larvée », en se basant sur son travail aux archives du département de Constantine. Revenant à la journée du 8 mai, il rappelle que l'ordre n'avait pas été donné par la direction du PPA, qui avait organisé seulement les manifestations du 1er mai à Alger. « Ce mouvement indépendantiste a toujours privilégié la mobilisation d'une avant-garde et s'est refusé à engager les masses dans un mouvement insurrectionnel de type messianique », expliquer-t-il. Evoquant la notion de repentance, il estime que « celle-ci peut être importante dans les relations entre les Etats, mais notre travail est en direction de la société qui doit cultiver sa mémoire ». De ce fait, il s'interroge : « combien de livres et d'études avons-nous publiés sur les différentes insurrections qui ont jalonné notre histoire ? ». Et d'y répondre : « en somme, nous manquons cruellement d'une sorte d'inventaire de l'Histoire ». Il regrette les blocages liés à la faiblesse de l'encadrement de la recherche universitaire et les difficultés d'accès aux archives nationales qui sont, pourtant, du domaine public. « Mes étudiants reviennent, parfois, brisés financièrement et moralement, d'institutions où ils sont perçus comme des intrus », avoue-t-il. Il en veut pour preuve un constat désolant : des dizaines d'universités et de centres de recherche étrangers sont abonnés à la revue Naqd. Aucune instance ou institution nationale n'aurait souscrit d'abonnement à cette parution depuis sa création, il y a maintenant... 23 ans.