Ce ne sont pas seulement les hommes qui avaient répondu à l'appel à la grève. Les femmes ont pris également part à cette action historique. Parmi celles qui avaient sacrifié leurs études, l'ancienne ministre et avocate. Celle qui fut aussi députée à la première assemblée constituante de l'Algérie après l'indépendance puis membre du Conseil de la nation nous en parle. Où étiez-vous à l'époque ? J'étais alors âgée de 18 ans et je poursuivais mes études au collège Pasteur à Alger où, sur un effectif de 350 filles, nous étions à peine 50 Algériennes. Je m'apprêtais à passer mon bac. C'est dire que tout appartenait à une minorité arrogante et que la majorité des Algériens était privée des droits les plus élémentaires comme celui relatif à l'instruction et à l'éducation. Mon père étant déjà syndicaliste, je l'aidais à rédiger des plaintes qu'il recevait. C'est comme cela que j'ai connu davantage les inégalités dont souffraient les Algériens. Un de mes aïeuls en Kabylie avait pris par ailleurs part à la révolte de 1871 et avait été déporté en Nouvelle Calédonie. Etiez-vous déjà affiliée au FLN ? En mai 1955, lors d'une fête de mariage chez la famille Gaïd, j'avais rencontré Izza Bouzekri, futur Mme Abane, qui m'avait introduite dans les rangs du parti. Pour moi, la grève des cours et examens n'aurait pu se faire sans le parti car beaucoup de ses principaux animateurs étaient déjà adhérents. Je pense au regretté Amara Rachid qui venait d'entamer sa première année à l'université. Il faut signaler le rôle important qu'il a joué car il était le trait d'union entre l'UGEMA organisation des étudiants, et l'AJEMA, organisation qui regroupait des lycéens et des collégiens qui avaient une conscience des enjeux. On tenait des réunions une fois par semaine au boulevard Baudin et on avait des activités culturelles, des excursions etc. Dès que nous sortions du lycée, nous allions à l'université toute proche. Il me plaît aussi d'honorer la mémoire de mon responsable, Sassi Bouleffaa. J'ai pris part à de nombreuses réunions où le sentiment patriotique était très fort. Je n'ai pas tardé à quitter Alger pour prendre le maquis à la wilaya VI dans les monts de Beni Mesra. La veille de la grève, Fatiha Hermouche, qui était la SG de l'AJEMA, a aussi quitté Alger pour le maquis. Y avait-il d'autres femmes ? Moi-même, j'ai quitté le collège avec trois condisciples en l'occurrence Safia Bazi et Fadhila Mesli. Elles aussi ont pris le maquis. L'histoire aura retenu le nom d'autres militantes qui seront des infirmières, des secrétaires et même des combattantes dans les rangs de la révolution. La génération actuelle est-elle consciente de l'importance d'un tel événement ? On ne peut comparer deux conjonctures, deux situations totalement différentes. Les jeunes de maintenant ne sont pas privés comme nous l'étions. Vous ne pouvez imaginer ce que représentait le drapeau pour nous. Le voir flotter dans une cour relevait du domaine du rêve. Notre mission était de bouter le colonialisme, de briser ses reins. A eux de préserver cette liberté chèrement conquise et de vivre leur temps. Ce que nous devons faire est d'entretenir la mémoire, d'évoquer ce que nous avons connu et vécu.