Ne dites pas «bergère». Dans nos campagnes, c'est un qualifiant péjoratif lorsqu'il est destiné à une fille ou une femme. Il en est de même pour le genre masculin quand on veut l'humilier. Pourtant quoi de plus sage, de mesuré et de modeste qu'un pâtre dont le féminin n'existe pas. Qu'à cela ne tienne pour ce vide de vocabulaire lésant fort bien ces femmes gardiennes de troupeau. Nous avons rencontré une vraie bergère. “Safia”. Elle a 54 ans et n'a pas égaré une once de son ingénuité. Ses pupilles gardent encore l'éclat brillant de ses prunelles noisettes. Que dire de son rire comme un ruisseau au printemps. Elle n'a jamais été à l'école et ne sait pas compter. Ses filles et son garçon Aziz sont là pour l'aider à élucider beaucoup de choses de la vie. Benjamine d'une fratrie de cinq enfants, elle n'a connu son père, émigré, qu'à l'âge de 14 ans. Elle devient son amie. Ils aiment tous les deux de manière démesurée tous les animaux. Chiens, chats, ânons, moutons et vaches. Tout ce qui est le monde paysan et cet univers simple et tout près du Bon Dieu. Safia la grand-mère, raconte ses journées de gardienne de troupeau : «J'ai trois vaches une génisse et cinq moutons. Ma seule occupation est de les emmener aux pâturages. Le ménage, le pain, la cuisine sont des tâches qui reviennent aux filles. En été, je me lève à 4 heures du matin. Je prépare le café, je fais bouillir le lait et je prends mon petit déjeuner. Ensuite, je trais la vache adulte et met dans le frigo le lait. Je prends le chemin du pacage jusqu'à 10 heures quand le soleil commence à chauffer et que la chaleur s'installe dans les champs». A son retour à la maison, une demeure construite entièrement en pierres taillées, elle se douche, se change. «Les habits de l'alpage ceux avec lesquels je dois affronter les ronces, la poussière, les buissons et parfois traverser les cours d'eau sont de vieux vêtements… ». Safia savoure le repas de midi avec ses filles, pour aller faire une sieste jusqu'à trois heures. «Azizwou ou Thizwa», le moment de repartir vers les champs avec ses bâtes jusqu'au crépuscule. Une deuxième traite l'attend. Et le lait donné par sa vache ? «J'ai en moyenne 10 litres de lait frais par jour. Je ne le vends jamais, il n'y aura pas de «baraka» si je venais à le faire. Je garde une partie pour nous et l'autre j'en fais don aux vieilles personnes ou aux familles qui ont des enfants en bas âge». Safia vient de vendre un veau : «l'argent rapporté m'a permis de m'acquitter de mes dettes.» A quoi penses Safia quand elle est seule face à la montagne avec ses animaux ? «J'ai une petite radio que j'emmène dans ma poche .Elle me permet d'écouter des chansons… des émissions. C'est ma compagne. Quant à la télé, je ne la regarde jamais. Je dors tôt pour me lever à l'aube… ». Pourquoi pas le téléphone mobile au cas où… «Je le laisse à la maison, mes filles en ont plus besoin que moi ». Et pour le mois du Ramadhan ? «Ce sera le même rythme avec une petite demi heure avancée pour le S'hour qui est pour moi toujours un copieux petit déjeuner jusqu'à la rupture. Cependant, au cours du mois de jeûne je ne vais mener paître mes bêtes qu'une seule fois par jour. »