Le ton a été donné, samedi, lors des obsèques auxquelles ont assisté 15.000 à 20.000 personnes, et des personnalités politiques et syndicales. Au même moment, des milliers de personnes, chauffées à blanc, ont manifesté dans les rues de Tunis, scandant des slogans hostiles au pouvoir en place. L'heure n'est plus aux compromis pour les protestataires qui ont appelé au renversement du gouvernement, à la « dissolution » de l'Assemblée constituante (ANC) et à la formation d'un gouvernement de salut national, dans l'espoir de mettre fin à la « légitimité » de la transition. Des heurts ont éclaté aux abords de l'Assemblée. Dans le gouvernorat de Gafsa, une personne a été tuée et cinq autres ont été blessées au cours d'affrontements entre manifestants et forces de l'ordre, alors que dans le gouvernorat de Monastir, les manifestants sont sortis en masse, avec les mêmes slogans. A Sidi Bouzid, berceau de la révolte qui a renversé l'ancien président Ben Ali, et d'où est issu l'opposant assassiné, les contestataires ont incendié le siège du gouvernorat tandis que les notables de la ville ont mis en place un conseil pour gérer les affaires de la cité « jusqu'à la chute du pouvoir » actuel. Côté politique, l'opposition de gauche est montée au créneau. Fort du soutien populaire, la coalition politique du Front populaire, le mouvement Nidaa Tounes ainsi que d'autres formations politiques ont décidé de former une haute institution « de salut national » qui serait chargée d'achever la rédaction de la Constitution dans un délai de deux mois avant de la soumettre à un référendum populaire et de dissoudre l'Assemblée constituante. Cette institution serait chargée également, selon ses initiateurs, de former un gouvernement de salut national dont les membres, très restreints, n'auront pas le droit de présenter leur candidature aux prochaines élections et dont la présidence serait confiée à une personnalité nationale indépendante de consensus dont le programme d'action comporterait des mesures urgentes dans les domaines économique, social, politique et sécuritaire, et la préparation « d'élections démocratiques, intègres et transparentes ». A l'Assemblée, la « saignée » continue. Au total, 52 députés se sont retirés, dont 42 du mouvement Nidaa Tounès et 10 de l'Alliance démocratique. Cible de la protesta, le parti d'Ennahda, qui domine le gouvernement, avec ses deux alliés du CPR et Ettakatol, sait qu'il joue sa survie politique. S'il est sorti indemne du premier malstrom (l'assassinat de Chokri Belaïd), en sacrifiant l'équipe de l'ancien Premier ministre, Hamadi Djabali, son SG qui plus est, le parti de Rached El Ghannouchi redoute un scénario à l'égyptienne qui sonnerait le glas du règne des Frères musulmans dont il est l'incarnation. Il a dépêché, vendredi, des milliers de ses militants pour manifester dans Tunis en guise de soutien, tandis qu'il a réuni, le lendemain, ses partenaires de la troïka en vue d'élaborer une feuille de route à proposer à l'opposition.