Sans consulter Rached Ghannouchi, le leader d'Ennahda, et Moncef Merzouki, le président du CPR, ses deux partenaires politiques, le président d'Ettakatol, qui n'a pas cessé de marteler que « l'Assemblée nationale constituante est une ligne rouge » et d'accuser les 60 députés démissionnaires de « traîtres envers les martyrs », annonce le gel des travaux de l'ANC qu'il refuse de voir prise en otage par des partis qui ont opté, dit-il, « pour la mobilisation de la rue au détriment de l'intérêt national ». « Jusqu'au retour de tous les acteurs du paysage politique et de la société civile à la table du dialogue », prévient-il, appelant Houcine Abbassi, le SG de l'Union générale des travailleurs tunisiens, à « jouer son rôle historique », initier un dialogue national avec la classe politique et les « vieux sages » pour arriver à un consensus sur les problèmes qui se posent au pays et dépasser la phase actuelle. « Aujourd'hui, dit-il, l'opposition a peur que la Troïka ne conduise des élections truquées, Ennahdha ne veut pas lâcher le pouvoir de peur des représailles et le peuple en a marre de ne pas savoir où se dirige le pays ». Cette initiative peut, de l'avis des analystes, être lue de trois façons : c'est le signal du « sauve qui peut », une manœuvre politique pour essayer de sauver les meubles de la Troïka ou une « instruction » qu'il aurait reçue pour exécution. Selon certains analystes, Ben Jaâfar donne, par son geste, un coup de massue à la légitimité de l'institution proche d'être enterrée et ouvre la voie à une sortie de crise si le Premier ministre daigne dissoudre son gouvernement. A peine annoncé, ce « gel » provoque l'ire de ses alliés au pouvoir. Samir Ben Amor, un député d'Ennahda, s'est empressé de la qualifier d'« illégale » et de « catastrophe ». « Ben Jaâfar outrepasse ses prérogatives. C'est un putschiste », dit-il. Haithem Ben Belgacem, le président du groupe parlementaire du CPR à l'ANC, critique la décision de Ben Jaâfar. « C'est une décision unilatérale. Elle n'a jamais été discuté lors de la réunion des présidents des groupes parlementaires », s'indigne-t-il. L'opposition qualifie de « positive » mais « insuffisante » l'initiative de Ben Jaâfar qui tend, selon Mohamed Bennour, le porte-parole du parti Ettakatol, « à éviter la division entre les Tunisiens et mettre fin à la violence et au terrorisme qui nous menacent ». « Face à ce rassemblement massif, il n'y a pas d'autres choix que de dissoudre toutes les institutions issues de l'ANC », déclare Besma Khalfoui Belaïd, l'épouse de Chokri. « Ben Jaâfar a enfin eu l'humilité d'écouter et de suspendre cette mascarade », commente Tounes Khemais Ksila, un député du parti Nida Tounés, qui s'est « retiré » de l'ANC depuis deux semaines. 250.000 manifestants contre Ennahda « Le peuple veut la chute du régime ! » Popularisé lors de la chute de Zine el-Abidine Ben Ali en 2011, ce slogan a été repris par mardi soir place du Bardo par des dizaines de milliers de manifestants mobilisés pour commémorer le 6e mois de l'assassinat du dirigeant de gauche Chokri Belaïd et réclamer le départ du « provisoire, incompétent et arrogant » gouvernement de Ali Larayedh et la dissolution de l'ANC qui, 21 mois après son élection et deux ans et demi après la révolution, n'a toujours pas terminé de rédiger le projet de Constitution et la nouvelle loi électorale. Les participants au sit-in ont exprimé leur détermination à maintenir la pression et à ne lâcher prise qu'après avoir fait tomber le gouvernement pour le remplacer par un gouvernement de salut national composé de compétences qui conduira le pays jusqu'aux élections législatives. Les islamistes rejettent ces revendications. Ils proposent d'élargir la coalition gouvernementale, des élections en décembre et au besoin un référendum sur le processus démocratique. « Dans les régimes démocratiques, les manifestations ne changent pas les gouvernements », explique le chef d'Ennahda dans le journal La Presse. L'opposition persiste et signe. « Si ce gouvernement ne part pas, nous formerons un gouvernement du salut dont les principales missions seront l'organisation d'élections, la garantie de la liberté de l'information, de l'indépendance de la justice et la neutralité de l'administration, et la restitution de l'évolution de la Révolution » avance Hamma Hammami, le porte-parole officiel du Front populaire. Ali Larayedh, le Premier ministre, dénonce les manifestations. « Elles minent les efforts des forces de sécurité. La multiplication des manifestations et des sit-in perturbe les agents des forces de sécurité qui sont obligés d'être dans les rues alors qu'ils devraient participer à des opérations de lutte contre le terrorisme. La lutte contre le terrorisme doit être au-dessus des tiraillements politiques, des intérêts partisans étroits », dit-il, demandant à « tous les partis (...) de renforcer l'union nationale », et de répéter sa proposition de sortie de crise : achever la rédaction de la Constitution et de la loi électorale avant le 23 octobre et tenir des élections le 17 décembre. « Nous étions les initiateurs du Printemps arabe, soyons les initiateurs d'un Etat démocratique par des moyens pacifiques », dit-il. Présent à la plénière, Lotfi Ben Jeddou, le ministre de l'Intérieur, a listé les succès des forces de l'ordre et donné un scoop : ses services auraient empêché 5.000 personnes d'aller combattre en Syrie.