La quatrième édition du Festival du tapis d'Ait Hichem, dont le coup d'envoi a été donné dimanche, constitue, au-delà de son aspect festif et commercial, un acte de reconnaissance du rôle joué par les tisseuses de ce village dans la sauvegarde et la transmission de ce legs culturel, auquel ce dernier doit sa notoriété. En effet, l'évocation du nom du village d'Ait Hichem, perché sur une crête à plus de 1200 m d'altitude sur les hauteurs de Ain El Hammam, à une soixantaine de kilomètres au sud-est de Tizi-Ouzou, fait inévitablement penser à ces ingénieuses tisserandes qui ont veillé jalousement sur ce produit artisanal pour lui permettre de faire face aux aléas du temps et de conserver l'âme que lui ont conférée les doyennes du tapis. Parmi ces doyennes, Mme Taos Ben Abdeslam, morte il y a une dizaine d'années à l'âge de 102 ans, avait consacré toute sa vie à la formation de jeunes tapissières à l'école de tissage de la localité, créée en 1892. Les jeunes femmes d'Ait Hichem, relevant aujourd'hui de la commune d'Ait Yahia, apprennent à tisser à un âge précoce dans des ateliers ou chez leurs mamans. Adultes, elles font de ce métier leur principale source de vie, du moins durant les années fastes où cette activité bénéficiait des retombées du tourisme, dont ce tapis incarnait à lui seul un produit de promotion, et ce, jusqu'à la décennie 1980, se souviennent avec nostalgie des femmes venues exposer leurs œuvres à l'école primaire de la localité, abritant des expositions qui s'étaleront jusqu'au 22 août. Pour ces femmes esthètes, le tapis est plus qu'une marchandise et un gagne-pain, il revêt aussi une valeur artistique, en ce sens que le tissage représente également, à leurs yeux, un moyen d'exprimer leurs sentiments, d'atténuer quelque peu les dures conditions de vie dans cette région montagneuse. Au-delà de sa valeur marchande, et pour mieux apprécier l'importance du tapis d'Ait Hichem, il faut savoir que derrière la beauté de ce produit artisanal se cachent de lourdes peines et souffrances, souvent refoulées, mais que les tisseuses évacuent en pratiquant ce métier, comme l'attestent, du reste, les motifs berbères qu'elles confectionnent minutieusement, comme l'exige toute œuvre artistique, derrière leur métier à tisser pour donner forme à autant de symboles exprimant l'âme et la personnalité de leur auteur. Dans les faits, en s'adonnant patiemment à leur art, ces artisanes ne font, à leur manière, que traduire leur dure condition féminine et extérioriser des douleurs internes que seul l'art sait exprimer. Tout en ourdissant la laine, elles chantent de longues complaintes (Ichawiqan) pour se donner courage et avancer dans la besogne. Métier fastidieux par excellence, le tissage nécessite l'accomplissement de plusieurs étapes pour donner corps au produit souhaité, dans ses multiples gammes, dont les plus célèbres sont Aavane (tapis coloré sur fond sombre faisant partie de la dot de la mariée) et Akhelkhal (sorte de couvre-lit blanc avec de fines stries). Des modèles uniques d'anciens tapis sont encore conservés par des familles. Le tapis d'Ait Hichem se singularise par la richesse de ses motifs décoratifs, porteurs d'une symbolique riche en signifiants et signifiés, et racontant le vécu des femmes tisseuses. Chaque motif a sa forme et sa couleur. Les tissages sont ornés de figures géométriques symétriques, agencées et exécutées à la main avec sept fils colorés. Disposés en lignes, ces motifs sont tissés avec une telle minutie qu'on les croirait brodés de fils multicolores. Au centre de ces motifs, sont incrustés, en filigrane, de petits triangles de laine de couleurs rouge, jaune ou brun clair, explique-t-on.