La révolution de Novembre est sur le point de boucler ses deux années de combats acharnés, une cause qui avance mais qui mobilise en parallèle toute l'armada de la puissance coloniale. La répression est à son comble, il faut une évaluation du parcours, une structuration des unités, une stratégie... Mais comment faire pour acheminer les délégués et surtout les états-majors des Wilayas devant le redoutable quadrillage du territoire par les forces d'occupation ? C'était une mission quasi impossible, une gageure, d'autant plus que, témoigne Aït-Ahmed, certains historiques n'étaient pas pour la tenue de ce congrès. « Un congrès antagoniste avait même été prévu, soutenu par Nasser et Bourguiba. » Contre toute attente, « le quasi-miracle s'est réalisé », dit-il. Grâce à la « réflexion et au savoir-faire du tandem Larbi Ben M'hidi- Abane Ramdane, aux officiers de l'ALN, à celles et ceux qui ont participé aux commissions préparatoires des assises de cet événement et aussi à ce mur de vigilance patriotique des villageois qui étaient mobilisés par le sens de l'honneur, sans même savoir la nature de l'événement attendu... » Le congrès se réunit dans la maison forestière d'Ighbal, à Ifri, non loin d'Ighzer Amokrane. Ils étaient là. Ben M'hidi, représentait l'Oranie, Abane Ramdane, le FLN ; Ouamrane, l'Algérois ; Krim Belkacem, la Kabylie ; Zirout Youcef, le Nord-Constantinois ; Bentobal, adjoint de Zirout. Quelques absents. Si Cherif, qui représentait le Sud, s'est excusé après avoir adressé son rapport à la réunion. Mais selon le témoignage de Benyoucef Benkhada, « les congressistes n'avaient pas la certitude absolue de la mort de Ben Boulaïd, qui remontait à cinq mois, ce qui explique que son nom figurait dans la liste officielle ». Le congrès s'est réduit à six. En dehors des séances, ceux-ci se retrouvaient chacun avec d'autres membres de sa zone : Ali Kafi et Mostefa Ben Aouda avec Zirout et Ben Tobbal, Saïd Mohammedi et Aït-Hamouda Amirouche avec Krim (zone 3), Dehilès, Si M'hammed Bouguerra et Ali Mellah avec Ouamrane (zone 4). Chaque chef de zone présenta un état de la situation : effectif des moudjahidine, armement, état d'esprit des combattants et de la population. Le congrès prit quelques décisions sur le plan organique, en remplaçant les zones par six wilayas découpée chacune en zone, secteur, région. Le problème crucial de l'armement revenait sans cesse dans les débats. Le congrès adopta deux principes majeurs, la primauté de l'intérieur sur l'extérieur et la primauté du politique sur le militaire. Il procéda également à la désignation des organes de direction : CNRA (Conseil national de la révolution algérienne) et le CCE (Comité de coordination et d'exécution). Le CNRA, parlement du FLN, joue le rôle de direction suprême du mouvement. Il désigne l'exécutif (CCE) et se prononce sur la guerre et la paix. Le CNRA se composait de 34 membres : 17 titulaires et 17 suppléants. L'ALN fut uniformisée dans sa structure et sa hiérarchie. Sur le plan de la justice, le congrès mit fin au droit des officiers de prononcer une condamnation à mort. Des tribunaux furent créés à l'échelle des secteurs et zones pour juger civils et militaires. La plate-forme de la Soummam a dressé la situation politique 20 mois après le déclenchement de l'insurrection et fixé les objectifs à atteindre et les moyens d'y parvenir. Elle a posé le problème des négociations et les conditions de cessez-le-feu qui serviront de base, cinq ans plus tard, aux négociations d'Evian. Elle stipule une reconnaissance du FLN comme « seul représentant du peuple algérien et seul habilité à toute négociation ». Elle proclame que « le CNRA est le seul habilité à ordonner le cessez-le-feu », avec l'ennemi. Le congrès a eu, bien entendu, ses détracteurs, à cause de certaines « insuffisances », écrira Benyoucef Benkhada rappelant au passage les absences de la Wilaya des Aurès-Nemenchas, celle de la base de l'Est, « au regard du conflit l'opposant à la Wilaya 2 pour le contrôle de cette route des armes ». Boussouf, l'adjoint de Ben M'hidi à la tête de la Wilaya V, contesta les décisions et reprocha à Ben M'hidi d'avoir engagé la Wilaya pour des questions « engageant l'avenir du pays » alors qu'il aurait été délégué pour « des questions d'ordre organique et de coordination ». Les historiques ont abondé dans le même sens. Pour Boudiaf, le congrès de la Soummam fut un véritable « magma ». Ben Bella contestera la présence de « certaines personnalités » au CNRA (Centralistes, UDMA, les oulémas), la primauté de l'intérieur sur l'extérieur et la primauté du politique sur le militaire.