La découverte puis la mise en œuvre des protocoles internet ont pour finalité d'assurer le transport de paquets de données de point à point par le meilleur chemin sans coup férir des contenus transportés ; ce qui correspond en fait au principe de neutralité du réseau internet. Un principe de grande importance dans le succès du réseau internet devenu, réseau des réseaux, accessible à tous, partout, et véhiculant toute sortes de contenus dans le respect de la liberté d'expression. Le succès aidant, la demande en accès à des services et contenus augmente et, avec, des besoins en bande passante pour faire face à la demande requérant des investissements colossaux en infrastructures pour chaque fois élargir les capacités de transport des contenus. Les opérateurs de télécommunications sont ainsi acculés à consentir des investissements énormes pour répondre aux besoins des usagers en bande passante notamment, avec la multiplication des terminaux mobiles de réception, à l'instar des Smartphones et les tablettes, en attendant une explosion certaine avec le développement de l'internet des objets. Du coup, la situation se gâte lorsque ces derniers menacent de réduire le trafic internet, de mettre en quelque sorte le principe de neutralité entre parenthèse, pour en appeler à un partage des coûts avec les opérateurs des contenus. C'est ce qui vient d'arriver aux Etats unis avec cette rebuffade d'un groupe d'entreprises de télécommunications, qui se sont liguées au sein d'une coalition emmenée par Verizon, pour ester en justice l'organisme fédéral de régulation des communications, la fameuse FCC (Federal Communications Commission), menaçant de contrôler le trafic sur leur réseau si les coûts des infrastructures ne venaient pas à être partagés avec les diffuseurs de contenus. Leur courroux s'abat essentiellement sur des sociétés comme Netflix, opérateur de vidéo à la demande, dont les offres pour satisfaire la demande de sa clientèle arrivent parfois, notamment en soirée, à accaparer près du tiers du trafic internet aux Etats Unis. Droits dans leurs bottes, les opérateurs de contenus maintiennent, inflexibles, que ce sont les abonnés qui doivent payer, provoquant ainsi à la colère de Verizon qui envisage de contrôler les flux de contenus sur son réseau. Les observateurs attendent la décision de la justice américaine pour voir si une brèche ne serait pas ouverte dans ce dossier par l'acceptation d'une remise en cause du principe de neutralité. Une éventualité que certains n'écartent pas et qui devrait ainsi ouvrir la voie à un internet à deux vitesses : des couloirs de navigation avec un débit rapide, sécurisé et garanti pour les mastodontes de l'internet capable de payer, puis une seconde zone de moindre capacité pour le reste et, notamment pour les petites start up incapables de faire face à la demande des opérateurs de télécoms. Pour la petite histoire, l'actualité nous a déjà servi une situation similaire, en France, lorsqu'une petite société Illiad, de l'opérateur de télécoms Free, s'est rebellée contre Youtube de Google, menaçant de lui réduire le volume de trafic et par la même de couper les publicités à Google. L'affaire a été portée devant l'instance française de régulation des télécommunications, l'ARCEP dont la décision n'a pas encore été rendue. Sur le vieux continent également, l'heure est au débat sur les intentions réelles des autorités publiques européennes en matière de respect du principe de neutralité de l'internet, notamment à l'occasion de la présentation d'un nouveau projet « paquet télécom », le 12 septembre dernier. Une opportunité pour la société civile européenne et les défenseurs de la liberté du réseau de donner de la voix et de souligner les ambigüités entourant la démarche de l'Europe prônée et conduite par Neelie Kroes, la commissaire européenne chargée de la société numérique, pourtant réputée fermement attachée à ce principe mais soupçonnée de mettre trop de souplesse et de laisser une large marge d'appréciation dans la gestion du trafic internet aux opérateurs, qui n'en demandaient pas moins. Le premier sujet de préoccupation est contenu dans la définition même donnée par le texte européen au principe de neutralité, que reproduit ainsi le site du quotidien français Le Monde : « l'obligation pour les fournisseurs d'accès internet [FAI] de fournir une connexion sans entrave à tous les contenus, applications ou services accédés par les utilisateurs finaux, tout en régulant l'usage des mesures de gestion de trafic par les opérateurs pour ce qui est de l'accès général à Internet. Dans le même temps, le cadre légal pour les services spécialisés [gérés] est clarifié ». A partir de cette définition, beaucoup ont vu une souplesse très large laissée aux opérateurs pour s'occuper à leur guise, comme la souligne le même site, de la « gestion de trafic raisonnable », expliquant qu'à travers « la gestion du réseau, un opérateur peut décider de donner temporairement priorité à un contenu ou un service très demandé, au détriment du reste du réseau, par exemple en favorisant Dailymotion au détriment de l'écoute de musique en ligne. » Plus loin, le texte européen introduit le principe des "services gérés", sorte de services pour lesquels est réservée une voie internet rapide, avec un débit garanti. Ainsi, d'après le quotidien français, « En France, les services gérés incluent notamment la télévision par Internet, pour laquelle une part de la connexion internet est réservé », ajoutant pour l'exemple qu'un « opérateur et un service, comme YouTube ou Facebook, pourraient ainsi passer un accord pour disposer d'une garantie de débit, contrairement aux concurrents qui passent par la voie "normale", sujette aux aléas du réseau. » Pour prévenir les risques d'entraves au principe de neutralité du réseau internet, les autorités européennes entendent mettre des verrous de sécurité en précisant les cas possibles de gestion du réseau par les opérateurs. Lorsque cela est promulgué dans une loi ou stipulé par une décision de justice, ou encore dans la mesure où cela empêcherait la commission d'un « crime sérieux », souligne le journal Le Monde qui énumère les autres cas de figure prévus par la commission européenne, à savoir « préserver l'intégrité et la sécurité du réseau, d'un service internet ou de l'appareil de l'internaute » ou encore « la défense contre les virus, l'espionnage ou d'autres attaques, de plus en plus habituelles. Puis pour empêcher de recevoir des informations non sollicitées (comme le spam), si l'internaute l'a explicitement permis. Enfin, pour limiter les effets d'une congestion temporaire du réseau, avec pour limite de devoir traiter de la même manière des contenus équivalents. » Dans la foulée des mesures de précaution, les responsables européens ont prévu de limiter « la surveillance généralisée des contenus transitant par le réseau au nom de sa gestion ». Cependant, le courroux des associations de défense des libertés sur internet est compréhensible à la lecture de la disposition ci après : « Pour être en mesure de fournir des services [gérés] aux utilisateurs finaux, les fournisseurs de contenus, d'applications et de services et les [FAI] doivent être libres de conclure des accords pour transmettre les volumes de données ou le trafic concernés avec une qualité définie ou avec une capacité dédiée », rapportée sur le site du journal Le Monde selon lequel « La gestion "raisonnable" du réseau et les services gérés, permis par le "paquet télécom", sont perçues comme des chevaux de Troie des opérateurs et services internet pour vider la neutralité du Net de sa substance par les défenseurs des libertés numériques. A leur tête, Jérémie Zimmermann, porte-parole de l'association de défense des libertés numériques La quadrature du Net qui s'est fendu d'un communiqué largement repris par la presse notamment le quotidien Le Monde dans lequel il dénonce : « Le projet de Mme Kroes est biaisé par essence afin d'autoriser des violations commerciales de la neutralité du Net, des formes de discrimination mettant en péril notre liberté de communication, par nature anti-compétitives. Passer en force de telles mesures, quelques mois seulement avant les prochaines élections, est inacceptable, et démontre la profonde et inquiétante déconnexion entre la Commission et les citoyens. Le Parlement doit remplacer cette section du texte par des mesures garantissant l'application réelle et inconditionnelle de la neutralité du Net afin de défendre l'intérêt général ». Malgré ces prises de position tranchées, des observateurs ont jugé opportune cette occasion pour poser le problème du financement des infrastructures au moment où la demande en bande passante explose, comme le souligne le quotidien économique français Les Echos pour qui « une telle réflexion s'impose alors que le trafic lié aux contenus vidéo connaît une croissance exponentielle (+55% par an chez Comcast). Cisco estime qu'il devrait tripler d'ici 2017. » Cette nécessité a conduit donc à une friction, en France entre le moteur de recherche Google, et l'opérateur de téléphonie Free qui a demandé selon le journal Le Monde à ce que « l'amélioration de son réseau doit être en partie financée par le groupe américain. » Cet épisode a conduit les experts à se pencher sur les tenants et aboutissants de l'affaire estimant en fait « que la position de Free est notamment motivée par son modèle à bas coût et un réseau sous-dimensionné, qui ne serait pas capable en l'état d'accueillir l'important trafic généré par Google. » Les observateurs attirent l'attention sur le fait que la possibilité offerte aux opérateurs et éditeurs de service de créer des "voies rapides" « peut théoriquement mener à une dégradation pour le reste d'Internet, qui passerait par des chemins qui ne seraient plus mis à niveau, car trop peu rentables. » Dans son texte portant « paquet télécom », la commission européenne a tenu compte de la « demande de la part des fournisseurs de contenu, d'applications et de services, pour la fourniture de services de transmissions fondés sur des paramètres de qualité flexibles, incluant des niveaux de priorité plus bas pour le trafic non urgent » mais estime néanmoins que « FAI et éditeurs de services doivent donc pouvoir "négocier" un niveau de qualité garanti », en mettant comme préalable « que de tels accords ne dégradent pas substantiellement la qualité générale des services d'accès à Internet ». Sceptiques, des défenseurs des libertés numériques ne sont pas convaincus de la possibilité d'allier ces deux objectifs, insistant plutôt sur l'obligation pour les institutions publiques européennes de s'impliquer dans les investissements dans les réseaux au lieu que de s'occuper à gérer l'existant.