Les quelques centaines de morts enregistrés durant ce mois d ́octobre au large de l ́île italienne Lampedusa ne seraient qu ́une partie des naufragés en haute mer. Fait troublant, selon l ́ONU, les pays européens ne sont ni au courant ni très motivés pour trouver une solution sérieuse aux tragédies qui se produisent à leurs portes. Le rapport onusien fait-il ici un constat volontairement alarmant afin de faire prendre conscience aux gouvernements européens de la dimension réelle de la tragédie de la migration africaine qui fuit la faim et les guerres dans l ́espoir de se faire une place dans le Vieux Continent prospère ? Les deux dernières tragédies de Lampedusa — d ́abord 300 morts puis une cinquantaine quelques jours plus tard — ont fait honte à l ́Europe dont les gouvernements ont été contraints de convoquer d ́urgence, mardi dernier au Luxembourg, une réunion de leurs ministres de l ́Intérieur. Or, très vite, les divergences ont fait surface dès que fut soulevée la question de ce qu ́il fallait faire pour aider les survivants africains. Concrètement, comment mobiliser des fonds pour leur hébergement et trouver les pays d ́accueil de quotas de ces « sans-papiers ». Les Européens se sont déjà montrés incapables de définir une position commune sur la question migratoire, perçue non plus comme au temps de leur prospérité économique comme une force de contribution à leurs richesses culturelle, sociale et économique, mais de plus en plus, avec la crise, comme la première des menaces après le terrorisme. C ́est cette perception de l ́immigration qui est à l ́origine de ces divergences qui butent, aujourd ́hui, sur la répartition des charges et la mobilisation de moyens à mettre en commun pour porter secours aux immigrants. En fait, le mal est encore plus profond que cette question de fonds. C ́est l ́indifférence au sort des « sans-papiers » en cette période de crise économique à laquelle gouvernements et citoyens ont fini par céder. Des rescapés de la tragédie de Lampedusa ont rapporté qu ́au moment du naufrage de leur embarcation, au moins trois chalutiers de passage dans la zone ont continué leur route sans prêter la moindre attention au sort de ces Somaliens et Erythréens accompagnés de leurs femmes et enfants en pleurs. L ́indifférence, voilà ce qui a le plus choqué à travers le monde, en Europe autant qu ́ailleurs. Les gouvernements, dont les pays sont la porte d ́entrée de l ́Europe, se sentent abandonnés face à la pression migratoire en provenance des côtes africaines. Le Premier ministre de Malte, Joseph Muscat, a lancé, samedi, un appel de détresse à ses pairs pour agir avant que la Méditerranée ne se transforme en cimetière. La maire de Lampedusa a invité le Premier ministre italien à « venir compter les cadavres ». Le phénomène risque de s ́aggraver faute d ́un consensus des Etats européens sur la question migratoire. Si la solution existe aujourd ́hui, elle pourrait ne plus l ́être à mesure que se prolonge la situation d ́instabilité dans les pays du nord de l ́Afrique qui sont toujours pris dans la tourmente du « Printemps arabe ». Les maffias de l ́immigration agissent activement avec le changement de scénario en Egypte et, surtout, l ́instabilité politique en Libye, en multipliant les routes vers l ́Europe. C ́est par la Libye qu ́ont transité la plupart des ressortissants africains qui ont fait naufrage au large de l ́île italienne de Lampedusa. « Ce pays est le cas le plus compliqué en raison du vide institutionnel dans une grande partie de son territoire », estime Bernardino Léon, envoyé spécial de l ́Union européenne pour les pays du sud de la Méditerranée. Faute de ne pouvoir compter sur les gouvernements des pays de transit, les Etats européens sont déjà incapables de compter sur leur propre solidarité pour s ́attaquer au phénomène qui prend de l ́ampleur avec cette situation d ́instabilité en Afrique du Nord dont ils sont en bonne partie responsables. L ́unique possibilité de pouvoir contrôler durablement les flux migratoires serait d ́abord que l ́Europe change de regard sur l ́immigration, en adoptant une vision humanitaire et non exclusivement sécuritaire. L ́ONU suggère que des accords soient conclus avec les pays d ́origine pour stabiliser, au plan social, les populations des régions d ́envoi de migration et accompagner leurs gouvernements dans leurs efforts de développement et de prévention des conflits armés qui sont à l ́origine du déplacement des populations. Pour le moment, le traitement adopté par l ́Europe est exclusivement sécuritaire. Son Parlement vient de voter une loi sur la coordination des systèmes de surveillance côtière de chaque pays membre pour détecter et agir en temps réel contre les mouvements migratoires au large de l ́espace commun. Cette loi entrera en vigueur en décembre. La mise en place de ce mécanisme pourrait, certes, réduire la pression migratoire vers l ́Europe, mais jamais la décourager.