Le tableau noir de la situation, interpellant grandement la responsabilité de l'Occident, présente les signes de la dislocation d'un pays placé désormais sous l'emprise illégale des milices. Pour Anatoli Egorine, directeur du Centre du « Dialogue arabe » de l'Institut d'études orientales, « la Cyrénaïque a pratiquement fait sécession en créant sa propre compagnie. La situation intérieure ne présage rien de bon. Le gouvernement actuel qui siège à Tripoli se consacre aux affaires extérieures, cependant que le spectre de la famine devient de plus en plus présent ». L'aveu de faillite est clairement établi par le secrétaire d'Etat américain, John Kerry, dénonçant la « violence sous toutes ses formes ». Il a affirmé que « les Libyens ont mené leur révolution pour établir un système démocratique dans lequel ils peuvent faire entendre leur voix de manière pacifique ». Le scénario du pire que l'Algérie, présentée alors en paria et en empêcheur de tourner en rond « des printemps arabes », a redouté dans l'indifférence totale de la communauté internationale profite largement aux « seigneurs de la guerre » qui se livrent, par milices surarmées, batailles pour imposer l'ordre de la terreur et la mainmise sur les richesses locales. Face à l'impuissance caractérisée de tous les gouvernements de transition, pris en otage, la loi des milices s'exerce au cœur même de la capitale livrée à la vendetta des groupes prenant leurs quartiers au moment de la chute de l'ancien régime. Au plus fort de la crise, la bravade des milices de Misrata, tirant à vue sur des manifestants venus protester contre leur présence jugée indésirable, est aggravée, de cause à effet, par la rocambolesque tentative d'enlèvement du directeur adjoint du renseignement, Moustapha Nouh, originaire de Misrata. Face au risque d'escalade, le rappel des milices de Misrata traduit une volonté d'apaisement des dirigeants, dignitaires et commandants ex-rebelles, donnant un ultimatum de 72 heures à leurs miliciens « quel que soit leur groupe ou leur nom » pour quitter Tripoli quasiment paralysée par des protestations contre la présence des milices armées qui défient le pouvoir central et sèment l'anarchie dans le pays, ont-ils indiqué dans un communiqué lu tard dans la soirée. Le communiqué des autorités de Misrata considère que les affrontements sanglants sont le fait d'un plan préparé d'avance « pour porter atteinte à l'image de la ville et la montrer comme si elle était l'obstacle à la construction de l'Etat ». Dans la capitale, l'armée s'est redéployée. Des dizaines de blindés et des soldats ont pris possession de plusieurs axes de la ville pout tenter de mettre fin à l'anarchie. La démolition des villas occupées par les milices de Misrata a été ordonnée par le vice-ministre de la Défense avant d'être désavoué par le gouvernement qui a annoncé, dans un communiqué, l'annulation de la décision. Si la loi de Misrata semble décliner, dans la capitale, Benghazi s'enlise dans un climat d'insécurité. L'est libyen est régulièrement le théâtre d'assassinats, portant la signature des radicaux. Plus d'une centaine d'officiers de l'armée et de la police, ainsi que des juges, ont été pris pour cible jusqu'à présent. Hier, le gouverneur militaire, le colonel Abdallah al-Saiti, a échappé à une tentative d'assassinat au cours de laquelle un de ses compagnons a été tué et un autre grièvement blessé, a indiqué le porte-parole de la Chambre, le colonel Abdallah al-Zaidi. Qui arrêtera la dérive ?