Une manifestation contre la présence des milices, organisée vendredi à Tripoli à l'appel du mufti libyen, a tourné au carnage vendredi et entraîné une escalade des violences dans la capitale libyenne. Les derniers bilans font état de 43 morts et 460 blessés dans des tirs survenus dans le quartier de Gharghour, devant le QG de la Katiba des Noussours (Aigles) relevant de la puissante milice de Misrata. Les affrontements se sont étendus à d'autres quartiers de Tripoli alors que des informations faisaient état d'arrivée de miliciens en renfort de Misrata. Des affrontements ont repris hier samedi dans la banlieue de Tripoli pour empêcher ces miliciens d'entrer dans la ville. Des fusillades entre milices rivales ont en outre éclaté à Tadjourah, un faubourg de l'est de Tripoli où ont été érigés des barrages destinés à empêcher l'arrivée de renforts pour les hommes de Misrata. Ces derniers étaient toujours retranchés dans leur QG proche de l'aéroport de Tripoli, assiégé par les forces gouvernementales et des habitants armés. Le Premier ministre, Ali Zeidan, a demandé aux milices qui s'affrontent de ne pas rentrer à Tripoli. «Je demande instamment à ce qu'aucune force n'entre dans Tripoli», a dit Ali Zeidan dans une allocution en public. «Cela aurait des conséquences négatives et catastrophiques.» Vendredi, à la suite d'un appel du mufti relayé par de nombreux imams, des manifestations se sont dirigées vers le QG de la milice de Misrata, installée dans le quartier de Gharghour, au sud de Tripoli. Portant des emblèmes libyens et des drapeaux blancs, les manifestants ont marché vers le QG aux cris de «non aux milices, oui à la police et à l'armée». DES MILICIENS LOURDEMENT ARMES Le président du Conseil local de Tripoli (maire), Sadat al-Badri, a affirmé que la manifestation était pacifique et que les miliciens ont tiré contre les manifestants. Il a indiqué qu'il comptait appeler à la grève et à la désobéissance civile jusqu'au départ des milices. Le Premier ministre libyen, Ali Zeidan, a imputé la responsabilité du carnage aux miliciens de Misrata. Il a indiqué dans un communiqué que la «manifestation était pacifique et a essuyé des tirs quand elle est entrée à Gharghour». Les miliciens de Misrata (200 km à l'est de Tripoli), qui se pensent comme les «héros» et les «gardiens» de la révolution, sont connus pour être lourdement armés. Le chef de la milice de Misrata, Taher Basha, s'en est pris, dans une déclaration à la chaîne Libya Al-Ahrar TV, aux Tripolitains qui «nous avaient accueillis avec des fleurs au moment de la libération et qui nous tirent dessus maintenant». Selon lui, la manifestation n'avait rien de pacifique. «Ils portaient des armes légères et ont tiré sur nous''. Sauf que les morts et les blessés sont tous du côté des manifestants. Selon le chef de la milice, des forces politiques qu'il n'identifie pas ont «utilisé des personnes âgées, des femmes et des enfants comme couverture tout en nous tirant dessus du haut des immeubles». Mais il semble bien que les miliciens de Misrata ont déclenché le cycle des violences en tirant sur les manifestants. Ces derniers ont choisi de marcher devant le QG pour protester contre la mort de deux Libyens, le 7 novembre dernier, du fait de cette milice. Les manifestants ont reflué sous les tirs en emportant les morts et les blessés. Mais ils sont revenus en armes, appuyés par d'autres milices, pour attaquer le QG de la milice de Misrata. Les affrontements ont duré toute la nuit de vendredi et plusieurs bases des miliciens dans le quartier de Gharghour auraient été incendiées. DES MILICES QUI PULLULENT La Libye «libérée» est totalement sous l'emprise des milices alors que le gouvernement affiche son impuissance au point d'évoquer la possibilité d'une intervention étrangère. Ces milices, certaines formellement passées sous la coupe du gouvernement, sèment la terreur. Ainsi, la Katiba dite «Chambre des révolutionnaires de Tripoli», qui dépend formellement du président du Congrès général national, est responsable de l'enlèvement, le 10 octobre dernier, du Premier ministre Ali Zeidan dans l'hôtel où il réside avant de le relâcher quelques heures plus tard. Les autorités ne sont même pas en mesure de chiffrer le nombre de milices qui contrôlent la capitale. Au moins 300, a déclaré un responsable de la sécurité à Tripoli à une journaliste étrangère. En Libye, après la chute de Kadhafi du fait de l'intervention de l'Otan, chaque ville voire tribu a désormais sa milice armée. Et ces milices des villes tiennent à être présentes dans la capitale pour défendre leurs intérêts et peser sur le cours de choses. Sous les décombres du régime de Kadhafi, c'est une «république des milices» qui s'est installée. Ces milices de Misrata, Zinten, de Benghazi, des Amazighs empêchent la reconstitution d'un embryon d'Etat. Le gouvernement est faible et le Congrès (parlement) est très largement une émanation des milices. Ces milices en compétition prolongent l'instabilité et créent une situation de pré-basculement permanent dans la guerre civile généralisée. Ou vers l'implosion de la Libye et une occupation étrangère directe.