Demain, l'Algérie, à l'instar des autres pays du monde, célébrera la journée internationale de la lutte contre l'analphabétisme qui coïncide avec la journée du 8 septembre.Durant ces 20 dernières années, l'Algérie a fourni beaucoup d'efforts pour combattre ce fléau, par le biais notamment de l'association Iqraa qui arrive, chaque année, à apprendre à 140 000 analphabètes à lire et à écrire. Dans cet entretien, la présidente de cette association, Mme Aïcha Barki, qui est aussi présidente du réseau des ONG arabes de lutte contre l'analphabétisme, fait son bilan.En effet, dans les années 90, 43,90% de la population étaient analphabète, soit plus de 7 millions de personnes dont les trois quarts étaient des femmes. Aujourd'hui, on en est à 22,1% d'analphabètes. Un grand pas a été réalisé mais c'est encore insuffisant, fait savoir la présidente de l'association Iqraa. Car, explique-t-elle, l'Algérie doit réduire de moitié le taux actuel d'analphabètes d'ici 2015 si elle veut faire bonne figure lors de l'évaluation internationale des programmes de l'éducation. Par ailleurs, Mme Barki revient sur le programme Afif (alphabétisation, formation et intégration) lancé par l'association et qui a onnu un franc succès auprès de femmes qui désirent, non seulement apprendre à lire et écrire, mais aussi apprendre un métier. Un programme qui, vu son impact, a été généralisé par le ministère de l'Enseignement et de la Formation professionnels. Enfin, côté perspectives, Mme Barki évoque le projet d'un programme arabo-africain, en partenariat avec le Sénégal, pour lutter contre l'analphabétisme dans le continent noir. Il y a une vingtaine d'années, presque la moitié de la population algérienne était analphabète et ce, malgré les efforts fournis par l'Etat au lendemain de l'indépendance. Qu'en est-il aujourd'hui ? Au lendemain de l'indépendance, l'Algérie a fait des efforts immenses en direction des analphabètes qui représentaient, en 1962, plus de 87% de la population. La stratégie qu'elle avait adoptée dans ce cadre était connue dans beaucoup de pays, dont les USA Mais dès 1978, avec l'avènement de l'école moyenne et la promulgation de la loi sur le droit de l'enfant algérien à l'éducation, et croyant que le problème de l'analphabétisme sera ainsi réglé, les pouvoirs publics avaient stoppé les opérations d'alphabétisation. Mais c'était sans compter sur les croyances sociales qui empêchaient, les filles notamment, d'aller à l'école et continuent même aujourd'hui dans certains villages. C'est ainsi qu'ont s'est retrouvé en 1990 avec 7,5 millions d'analphabètes en Algérie. Je l'ai découvert d'ailleurs par hasard. C'était lors des élections communales. Je devais organiser les élections dans l'établissement où j'étais directrice. J'ai été surprise par des femmes qui voulaient voter mais qui ne savaient ni lire ni écrire. Elles ne savaient rien des programmes des partis politiques ! C'est ainsi que l'idée m'est venue de créer une association locale d'abord, au niveau du quartier, pour améliorer, d'un côté l'instruction de nos élèves et d'un autre, alphabétiser leurs mamans. Par la suite, quand nous avons eu vent du taux d'analphabètes en Algérie, nous avons décidé d'opter pour une association nationale. Ainsi, nous avons réussi à implanter des bureaux locaux sur tout le territoire national et à attirer, en quelques mois, 83 femmes et une quinzaine d'hommes qui voulaient s'inscrire. Aujourd'hui, nous arrivons, chaque année, à apprendre à 140 000 analphabètes à lire et à écrire. Nous sommes présents dans 858 commues et les 48 wilayas ainsi que dans 21 prisons. Nous avons fait du chemin et relevé le défi. Nous avons réussi, grâce également à la stratégie nationale d'alphabétisation, à réduire de plus de la moitié le taux d'analphabètes enregistré dans les années 90. D'après les dernières statistiques, 22,1% de la population sont aujourd'hui analphabètes, dont 28% femmes et 15%hommes. Le ministère de l'Education nationale a annoncé que 97% des enfants sont scolarisés pour l'année 2010-2011. A votre avis, qu'est-il arrivé aux 3% restants ? Il faut savoir que l'analphabétisme est concentré dans les zones isolées, au niveau de hauts plateaux et au sud. Dans ces endroits, ce ne sont pas tous les enfants qui sont scolarisés. Les raisons sont multiples : écoles éloignées, absence de transport scolaire, de cantines,…Certains parents aussi, pour des considérations sociales, refusent de scolariser leurs enfants, filles et garçons. C'est pour cette dernière raison que le ministre de l'Education a adressé récemment une circulaire pour localiser tout d'abord les enfants non scolarisés et ensuite, poursuivre leurs parents. De notre côté, nous organisons des journées portes ouvertes sur le territoire national baptisées «Education pour tous» pour sensibiliser les parents, surtout ceux qui ont des soucis financiers. A ce propos, je déplore que la société finance le manger des pauvres mais pas l'éducation et le savoir. Pourtant, l'association Iqraa est soutenue par des donateurs…. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Nous n'avons plus de donateurs. Même le ministère de la Solidarité qui nous allouait des budgets dans le cadre de programmes spécifiques ne le fait plus depuis quatre ans. Les caisses de l'association sont presque vides. Cela fait presque un an que nos enseignants n'ont pas été payés. Ces derniers enseignaient bénévolement avant que l'Etat ne décide en 2008 de leur octroyer un salaire. Nous avons sollicité les pouvoirs publics pour nous soutenir et j'ai écrit personnellement au président de la République pour qu'au moins, les salaires des enseignants soient débloqués. Outre alphabétiser, l'association met au point un programme pour former les femmes illettrées, dans les régions isolées notamment… Dans certaines zones du pays, les femmes illettrées ne veulent pas seulement apprendre à lire et à écrire mais aussi apprendre un métier. Il y a deux ans, nous avons mis en place le programme Afif, qui comprend alphabétisation, formation et intégration. Il a eu un grand succès auprès des citoyennes (23 000 femmes déjà inscrites) et vu son impact, le ministère de l'Enseignement et de la Formation professionnels a décidé de le généraliser en qualifiant ce programme «d'alphabétisation qualifiante». D'ailleurs, à ce propos, nous avons lancé un appel aux pouvoirs publics pour que ce programme soit sous la tutelle de ce ministère. A propos des pouvoirs publics, je voudrais saluer l'initiative de l'Etat qui a consacré un budget spécial pour l'alphabétisation par le biais d'une stratégie nationale. L'Algérie est l'un des rares pays à l'avoir fait. En Egypte, par exemple, son programme d'alphabétisation est financé par l'Unesco. En France où le taux d'analphabètes est de 12%, l'Etat n'a jamais financé un programme contre l'analphabétisme. Cela dit, malgré les efforts fournis par l'Algérie grâce auxquels notre pays est classé sixième dans le monde arabe en matière d'alphabétisation, le taux d'analphabètes reste élevé. Il est nécessaire aujourd'hui d'évaluer l'impact de la stratégie nationale d'alphabétisation et combler les lacunes si lacunes il y a. D'autant plus que l'Algérie doit réduire son taux d'analphabète de moitié d'ici 2015 si elle veut faire bonne figure lors de l'évaluation internationale des programmes dans le secteur de l'éducation Qu'en est-il des hommes analphabètes ? Les hommes analphabètes sont moins nombreux que les femmes et ne sont pas aussi présents que ces dernières, à cause des horaires qui ne leur conviennent pas. C'est pour cette raison que nous avons mis en place un programme de cours du soir pour les hommes qui travaillent la journée. Ce programme est fonctionnel depuis deux ans et nous comptons le généraliser aux autres wilayas. Des projets en perspective ? A l'occasion de la journée internationale de la lutte contre l'analphabétisme, nous allons inaugurer un centre d'alphabétisation à Ghardaïa. Nous avons aussi un projet d'un autre genre, en partenariat avec le Sénégal, pour réfléchir sur un programme arabo-africain pour lutter contre l'analphabétisme en Afrique. Le but est d'échanger nos connaissances et expériences mais aussi aider l'Afrique à se remettre de ce fléau. Le contient noir se meurt non seulement de sida mais aussi d'analphabétisme.