Il est vrai que les révélations de l'agent Edward Snowden, distillées en feuilleton depuis l'été dernier, sur les pratiques de surveillance massive des communications électroniques par les renseignements américains ont apporté beaucoup d'eau au moulin de ceux, de plus en plus nombreux, qui veulent instaurer un nouveau cadre de régulation international du réseau internet. Cette semaine, c'est au tour de l'Union européenne de « taper du poing sur la table » pour en finir avec cette domination du pays de l'Oncle Sam qui a entre ses mains les ressources-clés du réseau. Parmi les ressorts de cette nouvelle démarche européenne, des analystes évoquent, en premier lieu, l'ombre des révélations de l'agent américain Edward Snowden, qu'ils voient, en filigrane dans l'exposé des motifs de la Commission européenne, soucieuses du fait que « nos libertés fondamentale et nos droits ne sont pas négociables. Ils doivent être protégés. » La presse européenne parle ainsi d'un nouveau cap franchi par le Vieux continent qui veut désormais retrouver sa place dans cette arène où s'affrontent, depuis quelques années, deux visions opposées sur la conduite future d'une hypothétique gouvernance mondiale de l'internet. Mais à voir de plus près, il peut sembler que l'Europe, qui accuse un retard énorme en matière de maîtrise du dossier de la gouvernance de l'internet, n'est toujours pas parvenue à ébaucher une vision claire et cohérente de ses membres. En affichant l'ambition européenne de « contribuer à l'élaboration d'un projet crédible pour la gouvernance mondiale de l'internet » et de « participer activement à la définition de l'internet de l'avenir », la vice-présidente de la Commission européenne, la Néerlandaise Neelie Kros, énonce une « série de propositions » destinées à asseoir au mieux un rôle plus visible de l'Europe dans ce bras de fer qui oppose les Etats-Unis à des pays émergents conduits par la Chine et la Russie sur l'avenir du Net. La première des propositions européennes viserait ainsi à mettre en place « des mesures concrètes pour fixer un calendrier précis pour la mondialisation des fonctions de l'Icann et de l'Iana ». L'objet et la démarche sont certes pertinents, sauf qu'ils viennent quelques mois après la fameuse déclaration de Montevideo (Uruguay) qui ne dit pas autre chose que cela. Réunis dans la capitale uruguayenne en octobre dernier, les principaux acteurs américains de la gestion internet, notamment l'Icann, l'IETF, le 3WC, ont eux aussi, appelé « à une accélération de la mondialisation des fonctions de l'Icann et de l'Iana ». Pour le directeur exécutif de l'Icann, Fadi Chehadé, cité par le site 01net.com, « cela a toujours été envisagé, y compris dans les accords lors de notre formation, que la relation spéciale entre l'Icann et le gouvernement deviendrait plus mondiale dans le futur et moins concentrée sur un gouvernement. Il n'y a donc rien de nouveau. » A la suite de cette rencontre de Montevideo, le responsable de l'Icann avait eu des entretiens avec la présidente brésilienne, à l'époque remontée contre le gouvernement américain, après les révélations de mise sous écoute de son téléphone portable. Cette dernière n'a pas hésité un moment à recevoir, au printemps prochain, un sommet mondial, baptisé Netmundial, qui pourrait servir de nouveau cadre pour replacer le débat sur la gouvernance internet dans une optique multilatérale, voulue notamment le patron de l'Icann, « pour assurer que nous puissions nous retrouver autour d'un nouveau modèle de gouvernance dans lequel tous seraient égaux. » Des observateurs ont vu dans la récente initiative européenne, une tentative de se positionner comme espace d'intermédiation pour les débats qui ne manqueront pas de s'imposer dans un futur proche sur la question de la gouvernance de l'internet. « Les deux prochaines années seront décisives pour redessiner la carte globale de la gouvernance d'internet, et l'Europe doit jouer un rôle important », affirmait la vice-présidente de la commission européenne, citée sur le site du quotidien économique français www.lesechos.fr. Une autre proposition contenue dans le document de la Commission européenne préconise « de renforcer le forum mondial sur la gouvernance de l'internet et de mettre en place un observatoire mondial de la politique de l'internet. » Il est vrai que parmi les maigres résultats tirés des deux sessions du sommet mondial sur la société de l'information, à Genève en 2003, puis Tunis en 2005, la constitution, sous l'égide du secrétaire général des Nations unies, d'un Forum sur la gouvernance de l'internet (FGI), ne semble pas avoir beaucoup fait avancer la problématique de la gouvernance de l'internet. Depuis 2006, le FGI a été tenu, annuellement, dans différents régions du monde, avec néanmoins de maigres avancées tant qu'il ne constitue qu'un forum de discussion, de débat et de proposition, sans aucun pouvoir d'action sur les acteurs réels du réseau internet. En réitérant son vœu de mettre en place « un ensemble de principes de gouvernance de l'internet qui préserve le caractère ouvert et non morcelé du réseau », la Commission européenne pointe du doigt les risques encourus par internet de voir des Etats recourir à des mesures unilatérales de contrôle des points d'accès à internet et éventuellement à la mise en place de réseau nationaux déconnectés du réseau mondial. Une perspective de plus en plus redoutée face d'une part à « l'obstination » à maintenir internet en position « américanocentrée », et d'autre part aux dernières informations sur l'étendue du contrôle par les Etats-Unis de tous les étages de son architecture, à commencer par les infrastructures techniques pour finir sur les contenus, y compris privés, en circulation sur le réseau. Cette mainmise américaine ajoutée aux révélations de Snowden semblent avoir constitué un terrain favorable à des remises en cause par des initiatives qui, néanmoins ne sont pas toutes d'un même niveau de pertinence. « Ecœurée », « très en colère », la chancelière allemande Angela Merkel en a vu de toutes les couleurs lorsqu'elle sut, par des révélations de Snowden, que certains de ses téléphones ont été mis sous écoute par la NSA. La voilà, à son tour, qui propose des mesures pour préserver l'Europe des oreilles de l'Oncle Sam, dans des formes que beaucoup d'experts ont des difficultés à bien saisir. Le site www.francetvinfo.fr a analysé la nouvelle initiative de la chancelière, faite à la veille d'un sommet franco-allemand, prévu à Paris, sur une vidéo diffusée, le week-end dernier, sur son site officiel. Elle serait motivée, selon le site, par le souhait « que personne n'ait à envoyer des courriels et d'autres informations de l'autre côté de l'Atlantique », afin, espère-t-elle, de protéger la confidentialité des communications et des données circulant sur les territoires européens. Simple coup d'épée dans l'eau pour l'un des fondateurs de l'association française, la Quadrature du Net, de défense des libertés sur internet, Benjamin Sonntag, qui, d'après ce même site, s'est retrouvé à « hurler de rire », car, dit-il, « un internet européen n'a aucun sens techniquement par rapport à la façon dont internet est distribué », et puis, d'autre part, ajoute-t-il, « 100% du trafic entre pays européens ne passe pas par les Etats-Unis. » D'autres experts interrogés par le site ont par ailleurs expliqué la complexité technique et le coût économique d'une telle démarche, qualifiée par l'association la Quadrature du Net de « non sens économique ». Donc s'il s'agit bien de sécuriser les échanges entre Européens, des canaux semblent avoir été mis en place, à moins, comme l'indique Stéphane Bortzmeyer, ingénieur réseaux au site francetvinfo.fr, au sujet de la proposition de Mme Merkel « qu'elle ait commis une erreur technique, qu'elle confondait internet avec Gmail et Facebook. » Dans la cas où les responsables français et allemands venaient à utiliser pour leurs échanges les messageries de ces deux mastodontes américains, « la tâche sera beaucoup plus facile pour la NSA », prévient l'ingénieur. Pour mieux illustrer la portée d'une telle initiative, le site d'information de la télévision française se réfère à des déclarations de Snowden à une chaîne de télévision allemande, qui tendraient à exclure tout impact significatif, pour le moment, d'une quelconque mesure face à l'étendue des capacités de captation de l'information par les renseignements américains. « La NSA va là où les données sont », déclarait Snowden, pour qui, « bouger les données ne va pas résoudre le problème. »