Ukrainiens et Russes se livrent une guerre des nerfs à coups d'ultimatums et de déclarations incendiaires.Vingt-quatre heures avant la rencontre prévue aujourd'hui à Paris entre Serguei Lavrov et John Kerry, les ministres russe et américain des Affaires étrangères, les forces russes investissent deux bases de lancement de missiles en Crimée (une à Fiolent, près de Sébastopol, et l'autre Evpatoria, dans l'ouest de la péninsule). Fini l'encerclement « silencieux » des militaires ukrainiens dans leurs casernes ? Serguei Lavrov a planté le décor avant de se rendre dans la capitale française. « La Russie ne permettra pas un bain de sang en Ukraine. Nous ne permettrons aucun attentat contre la vie et la santé de ceux qui vivent en Ukraine, ni contre les Russes qui vivent en Ukraine », dit-il à Madrid dans une conférence de presse avec son homologue espagnol, José Manuel Garcia-Margallo. Tout en niant toute implication de leur armée en Ukraine, les responsables russes, y compris le président Vladimir Poutine, n'écartent pas l'envoi de troupes dans ce pays qui ne serait pas, précisent-ils, « nécessaire pour le moment ». « Nous nous réservons le droit de recourir à tous les moyens pour protéger ses citoyens, notamment en Crimée qui compte 60% d'habitants d'origine russe », disent-ils, fustigeant au passage les Occidentaux et les « entraîneurs » qui ont formé des « unités de combat ». Deux bateaux de la marine, le navire de débarquement Saratov et le navire d'assaut Yamal, ont reçu ordre de regagner leur base navale de Sébastopol en Crimée où, selon les estimations occidentales, 16.000 soldats russes s'y trouvent. Lavrov prône, lui aussi, la solution politique. Il demande le retour à l'accord conclu entre le président Viktor Ianoukovitch et l'opposition. « Nous espérons que ceux qui ont poussé la situation (en Ukraine) jusqu'au point où elle se trouve à présent y trouveront une issue. Et il est possible de la trouver sur la base de l'accord du 21 février. Il faut travailler honnêtement sans chercher à tromper personne », dit-il. Le président ukrainien et les principaux leaders de l'opposition ont conclu un accord qui prévoyait un retour au régime parlementaire, la formation d'un gouvernement d'union nationale et la tenue de l'élection présidentielle anticipée avant la fin de l'année en cours. Mais le 22 février, sans attendre que Ianoukovitch signe une loi autorisant la réforme constitutionnelle, le Parlement a modifié la Constitution, destitué le président, limogé certains ministres et fixé l'élection présidentielle au 25 mai. Sergueï Narychkine, le président de la Douma, a demandé, hier, à la Commission européenne de statuer sur la légitimité des décisions du parlement ukrainien. Obama hausse le ton Barack Obama, le président américain, met en doute la bonne foi de Vladimir Poutine. « Ses déclarations ne trompent personne », dit-il. Il l'accuse de chercher un prétexte pour envahir l'Ukraine. John Kerry va plus loin. « Il est clair que la Russie fait tout son possible pour créer un prétexte pour pouvoir envahir davantage l'Ukraine », dit-il. « Si la Russie ne choisit pas de mettre fin à l'escalade, ajoute Kerry, nos alliés n'auront d'autre choix que de se joindre à nous pour continuer à aller au-delà des mesures que nous avons prises ces derniers jours pour isoler la Russie sur les plans politique, diplomatique et économique ». Les Russes ne croient pas trop en ces menaces. Leurs sénateurs travaillent, eux aussi, sur un projet de loi permettant de confisquer les biens des entreprises européennes et américaines à la première sanction imposée à leur pays. Selon Laurent Fabius, le patron de la diplomatie française, ce plan revient sur certains points de l'accord du 21 février conclu à Kiev. José Manuel Barroso, le président de la Commission européenne, a appelé, hier, à un dialogue direct entre la Russie et l'Ukraine. « Notre priorité est de contribuer à une résolution pacifique de la crise actuelle. La situation en Crimée doit être réglée par le dialogue politique dans le cadre de la Constitution ukrainienne, dans le respect de tous les citoyens et communautés d'Ukraine. Nous saluons le dialogue direct entre Moscou et Kiev. J'espère que personne ne sera contre le déploiement d'observateurs internationaux en Crimée », dit-il. « Nous ne voulons pas combattre les Russes. Nous voulons maintenir le dialogue, de bonnes relations avec le peuple russe. Nous apprécions tous les contacts possibles » déclare Andriï Dechtchitsa, le ministre ukrainien des Affaires étrangères. Kiev, qui demandé à sa frégate Hetman Sahaidachny de revenir à sa base, a décidé hier de renforcer les mesures de sécurité de ses 15 sites nucléaires en service.